Intagrist, Odyssée touarègue
Livre
Journaliste et réalisateur, Intagrist offre une lecture de son peuple touareg à travers son roman Echo saharien, L’inconsolable nostalgie. Bâ Silèye a lu pour nous le récit de l’odyssée du fils du terroir qui a décidé de retrouver la terre de ses ancêtres.
Odyssée touarègue
Echo saharien, L’inconsolable nostalgie est un récit qui relate l’odyssée d’un fils du terroir qui a décidé de retrouver la terre de ses ancêtres. C’est l’histoire d’un homme qui, lassé par « les artifices du monde » et les « assujettissements » urbains, part s’installer dans une quiétude saharienne.
Intagrist El Ansari est donc un heureux revenant. Heureux, puisqu’il retrouve son authenticité culturelle. Heureux encore de vivre sans aucune contrainte spatiale et temporelle. Son récit dépeint le désert comme un inégalable havre de paix. Il définit l’espace comme un lieu de silence et de ressourcement au sein duquel la dimension métaphysique prédispose l’être à la méditation sur la grandeur divine. Il en donne une formulation apaisante : « J’ai le désert, seul, pour maître et pour seul guide ».
Ce périple saharien intègre Intagrist dans l’univers de ces hommes ayant presque fait serment de vivre sans encombrement. Toutefois, Intagrist n’est pas comme les autres explorateurs, tel John Davidson (1797-1836), le premier à avoir traverser le désert. Comme Intagrist, Davidson prit la route Tanger-Tombouctou. Assassiné, au moment où il atteignait sa destination finale, ce dernier avait pour mission d’espionner les populations locales pour le compte des superpuissances occidentales.
A l’autre bout, la traversée de l’auteur de Echo saharien commence à Tanger et passe par Nouakchott, Manéka, ainsi que le plateau de Hoggar. Puis, il met le cap sur la mythique ville algérienne de Tamanrasset. C’est par les petits hameaux, qui enchantent par leur parfait silence, qu’Intagrist atteindra Tombouctou. Il décrit les choses qu’il voit et sent. Sous sa plume, on découvre que le gîte touareg accueille le connu et l’inconnu. Intagrist y est reçu alors tel un Amenokal (chef traditionnel chez les Touaregs). Tamanrasset porte le flambeau de l’hospitalité saharienne. C’est aussi la Venise du désert… Les femmes y règnent en maîtresses et y répandent un romantisme qui envoute l’hôte.
L’auteur nous met, sans trop d’effort, dans les confessions d’un homme qui tombe sous le charme d’une fille de Tam. Simple observation, puisque l’arrivée d’Intagrist coïncide avec la célébration d’un mariage. Grâce, élégance, originalité, voilà le curieux mélange qui embellit Tam « la Belle », encensée par le parfum de Leila. Qu’y a-t-il de mieux que les sérénades de Wartorden (l’insoupçonnable) pour clôturer les festivités de la nuit de noces ?
Si Intagrist a pour mentor l’écrivain Ibrahim Al Koni, les femmes touarègues ont pour héros le poète Imro Al Qays. Le premier laisse entendre que : la « beauté est la seule énigme capable de ramener l’éternel rêveur à la raison ». Et le second pousse dans la poésie : « Halte, et pleurons au rappel d’une aimée… » Dans la suite, Intagrist El Ansari découvre le bonheur, l’amour et la joie de vivre, puis s’émerveille : « Tam, un éloge de la beauté ». Toutefois, il n’est pas venu pour rester dans la ville enchanteresse. Tombouctou l’attend, ses explorations aussi.
On ne peut réaliser ce voyage sans explorer le passé. Cette exploration plonge le lecteur dans toutes les facettes de la culture touarègue dont l’enfant de Kel Ansar est bien nourri. Intagrist qui ne quittera la région de Tombouctou qu’à cause des troubles du Nord-Mali des années 1990, est nourri à la source des anciens qui fondent les illustres rencontres. Et chacune, de ces dernières, est une célébration du nomadisme et des gloires sahariennes. A Intagrist, on étale l’élogieux parcours des hommes de sa tribu, les KelAnsar. Un vieil homme, en partance pour Tombouctou, lui rapporte l’histoire de Hammada El Ansari, l’homme qui, au XVIIIème siècle « régna sur l’ensemble de tribus et de fractions nomades de la région de Tombouctou ». Chaque peuple a son Jules Ferry. Celui des Touaregs est Mohamed Ali Ag Attaher El Ansari, le grand oncle d’Intagrist. A l’héritier d’écrire : il « avait une vision pionnière en son temps. En effet, alors que les Touaregs récusaient l’école, à la pénétration coloniale, en étant l’Amenokal, Mohamed Ali, a entrepris d’inscrire tous les enfants, à commencer par sa famille proche ».
Mais ce n’est pas fini. A Tombouctou, haut lieu de la sainteté, gîte des érudits, autrefois sublimé par les voyages caravaniers, sera transformé par Intagrist en lieu de résistance. Opportunité pour lui de dénoncer les incohérences ethnographiques publiées sur son peuple. Avant d’aller interroger le célèbre documentaliste Noury, Intagrist avise que « l’histoire des Touaregs est confisquée par l’ignorance de quelques auteurs occidentaux qui n’avaient pas accès aux sources arabes ou qui en ont une méconnaissance ». Noury, lui, rejoint Jacques Hureïki : « Il ne peut y avoir une écriture de l’histoire des Touaregs sans eux-mêmes »… En rapportant ce propos, Intagrist pose les bases d’une problématique contemporaine : on ne cesse de voir émerger dans les médias occidentaux des pseudo-spécialistes de l’Afrique qui poussent comme des champignons. Des imposteurs ? A chacun de se faire son jugement, si l’on voit la manière avec laquelle d’aucuns s’épanchent dans les médias (radio, télé, presse écrite).
Justement, à travers ce voyage, Intagrist El Ansari aurait pu proposer, à côté de son récit, une analyse sur la situation géostratégique de la région. Confirmer ou infirmer les propos selon lesquels des tribus Touaregs s’allient avec les terroristes pour mieux opérer dans le Sahara. Montrer la vraie face de la lutte pour le respect des droits de ce pays, la main posée sur un amas de connaissances que contiennent les livres anciens. Dommage qu’il ait préféré, simplement, faire des prières : « Ciel pour que tout ce savoir puisse guider l’humanité, actuellement encline à une amnésie instigatrice de troubles, de crises, de guerres et des ignorances de notre temps ». Etabli en Mauritanie, depuis 2012, où il opère comme réalisateur, reporter et correspondant de presse pour Magazines TV et presse écrite, gageons Intagrist El Ansari franchira d’autres pas dans ses prochains écrits !
Bâ Sileye
Écho saharien, l’inconsolable nostalgie, Intagrist. Ed. Langlois Cécile, Paris 2014