JP Valentin. Nomades, les héros du vent
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JP Valentin. Nomades, les héros du vent

Interview

 

                                                        

Invité par Traversées Mauritanides, avec l’appui de Campus France et du Service d’action culturelle de l’ambassade de France, Jean-Pierre Valentin a participé à la 7e édition des rencontres littéraires Traversées Mauritanides sous le thème Villes murmures d'écrits. En Mauritanie, il était loin d’en être à son premier séjour. Car c’est à 20 ans qu’il a commencé à s’imprégner des ambiances sahariennes. Défis qui le feront traverser l’Afrique à pied, de Dakar au lac Tchad… Suivront de multiples haltes en Mauritanie où il a désormais ses habitudes à Chinguetti, Tichitt, Oualâta et Ouadane ! Lors de ces séjours et randonnées chamelières, en Mauritanie et ailleurs, Jean-Pierre Valentin photographie et réalise des documentaires : Les Hommes du voile ; Sur la route des caravanes ; Dans les pas de Kabo Ana et Tresser la paille autour des Wodaabe du Niger, Touaregs, L’âme bleue du désert, Maroc, Au cœur du Haut-Atlas, dédié aux bergers berbères, Vosges, L’appel de la forêt. A ces documents, diffusés sur plusieurs chaînes de télévisions, il faudra ajouter les récits Le murmure des dunes, Petit éloge du désert et de ceux qui y vivent (Transboréal, 2013) ; Ténéré, Avec les caravaniers du Niger (Transboréal, 2008) ; Horizons nomades, Mauritanie-Niger et Haut-Atlas-Sahara, Horizons berbères (avec Paul Lorsignol, Anako, 2003 et 1999).

Si Jean-Pierre Valentin est venu en terrain connu, ce qui le marquera cette fois ce sont les opportunités de transmettre ses passions à divers publics auxquels il livre ses pérégrinations, rencontres qui lui apprennent aussi beaucoup en retour. Un rendez-vous du donner et du recevoir, du contre don, qu’il partage en toute reconnaissance avec Traversées Mauritanides !   

Traversées Mauritanides : Vous avez pris part, en décembre 2016, aux Rencontres littéraires Traversées Mauritanides à Nouakchott. Ce devait être votre énième visite en Mauritanie, non ?

Jean-Pierre Valentin : En effet, c’est ma sixième visite en Mauritanie, entre 1994 et 2007.  J’ai longuement séjourné dans le désert mauritanien, en 2001 surtout, deux assez longues périodes, lors d’une guetna, la saison de la récolte des dattes à Chinguetti ! Puis, j’avais prolongé par un hiver saharien vers les espaces caravaniers et les villes anciennes.

Traversées Mauritanides : On vous a entendu dire : "Je suis venu à l’écriture par le désir de dépasser le voyage". C’est cela aussi qui vous motive à aller à la rencontre de peuples inconnus ?

Jean-Pierre Valentin : Mes premiers voyages étaient novices, néophytes… Alors, avant l’écriture, est venue l’envie de mieux comprendre le terrain en l’augmentant par mes lectures… Et Saint-Exupéry, Frison-Roche et certains autres m’ont guidé sur les pistes sahariennes. Amoureux des livres, le désir d’écrire à mon tour, de publier, était devenu très fort. Alors dès que le moment s’est présenté, je m’y suis attelé. L’écriture oblige à plus de réflexion, elle dépasse l’acte même du voyage. Le déplacement nourrit l’écriture. Puis la rédaction oblige à organiser sa pensée, à revenir sur les faits vécus, donc à prolonger avec bénéfice le parcours. Très vite, ma démarche a été ethnographique, avec le souhait de vivre avec les communautés du désert, de mieux comprendre cet attachement aux lieux, ce monde nomade qui peuple un vide immense, un écoumène particulier… Je peux dire que ces rencontres fortes, évidemment, enrichissent mon écriture et poussent à témoigner.

Traversées Mauritanides : Vous faites vôtre la formule "l’écriture vient en marchant" ?

Jean-Pierre Valentin : Oui. La marche stimule mon écriture ! Le voyage ordonne la pensée, et le temps long du parcours, de la balade, permet de réfléchir, de poursuivre le chantier livresque en progrès sur le bureau. Je débloque des situations, découvre de nouvelles pistes rédactionnelles, en courant la campagne.

Traversées Mauritanides : En Mauritanie, on vous dirait presque sur les traces d’Antoine de Saint-Exupéry !

Jean-Pierre Valentin : Absolument… Saint-Exupéry fait partie des auteurs qui m’ont conduit vers le Sahara, avec Terre des hommes, Vol de nuit, Courrier sud ou Le Petit prince évidemment… C’est amusant le fruit du hasard, en y réfléchissant : Frison-Roche, La Montagne aux écritures, que je découvre collégien, est un livre que ma mère a reçu pour un prix scolaire… Et Saint-Exupéry, je le rencontre pour la première fois lors d’une kermesse durant laquelle je gagne l’un de ses ouvrages ! Certaines découvertes marquent de manière indélébile, décident du chemin de la vie.

Traversées Mauritanides : Comment avez-vous découvert la Mauritanie ?

Jean-Pierre Valentin : Par les livres au départ. Puis par les commerçants maures fréquents en Afrique de l’Ouest, et des nomades côtoyés aux confins du Sénégal, de la Mauritanie et du Mali. Ensuite, ma passion pour l’histoire saharienne m’a mené vers les villes anciennes et mon souhait de fréquenter des groupes caravaniers vers les immensités désertiques et les salines, Tichitt, Oualâta…

                                             

Traversées Mauritanides : Vous dites être plus passionné par ceux qui habitent le désert, que par l’espace ; alors que les Occidentaux semblent être plus enclins, passionnés, par ce qu’on appelle l’exotisme !

Jean-Pierre Valentin : "L’exotisme est quotidien", pour reprendre la formule chère à Georges Condominas ! Je crois être plus fasciné par la manière dont les gens du désert ont apprivoisé cet espace. Et pour moi, la richesse de cet environnement, sa beauté, sont augmentées par celles et ceux qui habitent ces lieux. Le désert est beau pour ces rencontres éventuelles, car il est fréquenté par ceux qui le connaissent. Vous voyagez dans le désert, vous ne croiserez peut-être jamais de nomades ou de caravaniers, mais l’existence de cette probabilité augmente l’attractivité du Sahara, pour nous, qui sommes de l’extérieur… je le crois. L’envie d’un paysage peuplé grâce à un savoir-faire, un savoir-vivre séculaire. "Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est qu’il cache un puits quelque part…" Et je rejoins entièrement Saint-Exupéry dans son propos : "l’essentiel est invisible pour les yeux".

Traversées Mauritanides : Vos travaux sont constitués d’écrits mais aussi de films et de photos. Un désir de tout immortaliser ?

Jean-Pierre Valentin : Peut-être. Mais aussi mon intérêt pour ces différents moyens culturels de témoigner. Si j’aime l’écriture, j’ai d’abord photographié, puis filmé. Je pense que c’est un tout, un ensemble cohérent. La photographie peut illustrer et accompagner un récit, aussi être exposée. Le documentaire apporte, quant à lui, une autre dimension, un autre rapport au rythme, à l’émotion… Le film rejoint le sensible, quand le récit permet la précision, est plus contraignant dans sa volonté ethnographique. Actuellement, je travaille à mon premier recueil de fiction, des nouvelles, une écriture moins factuelle qui s’accommode de l’invention.

Traversées Mauritanides : Pour vous, c’est l’humain au centre du monde, et non le regard touristique.

Jean-Pierre Valentin : J’essaie de ne pas avoir un regard superficiel, tronqué. Souvent, le touriste passe trop rapidement pour saisir le principal, c’est un "voyagé" pour reprendre la définition célèbre de Jacques Lacarrière. Alors je tente d’être un "voyageur" et le temps long est mon allié pour forger mon opinion sur des fréquentations familiales au long cours. Je cherche à partager une émotion, une parole, un sentiment, un certain éloge de la lenteur…

Traversées Mauritanides : Après les Vosges, les montagnes de l’Atlas marocain, le Mali, la Mauritanie, et j’en oublie de vos passages, vous êtes devenu un berger des espaces. On dit que les nomades détestent la ville, un refus de l’enfermement ?

Jean-Pierre Valentin : "La maison est le tombeau des vivants", dit un proverbe touareg. Des amis, Wodaabe du Niger, détestent la ville en effet. Quand vous êtes habitués à fouler des espaces sans limite, la ville oppresse et enferme. Pour apprécier la ville, la vie dans la cité, il faut en connaître les codes, les nomades ne les possèdent pas nécessairement. Quand votre demeure est seulement limitée par l’horizon, que vous menez vos déplacements comme bon vous semble, c’est très difficile d’imaginer être borné par quatre murs et des rues encombrées. C’est un refus de l’enfermement matériel et social : la steppe est un espace de rencontres et de causeries, le "grand dehors" autorise la proximité, la ville déshumanise et étire les liens.

Traversées Mauritanides : Hum, quel est alors votre rapport aux villes, ou à la ville ? Puisqu’au cours d’une table ronde de ces rencontres Traversées Mauritanides, Voix de ville au Racing club, vous aviez eu un regard un peu… décalé.

Jean-Pierre Valentin : Je ne suis pas un grand citadin, en effet, mais je ne déteste pas la ville. La ville est pour moi un point de passage, de rendez-vous, une formalité avant de rejoindre la brousse. La liberté est, pour moi, liée aux espaces ouverts, même si la cité permet de se faufiler invisible tant elle est individualiste. Ensuite, j’ai un rapport particulier, comme photographe et documentariste, à l’architecture, à la beauté, aux perspectives. Nous évoquions lors de la table ronde que vous rappelez, la ville de Nouakchott, et je n’étais pas le seul pour dire que cette capitale était plutôt vilaine et mal construite.

Mme Turkia Daddah et M. Idoumou Mohamed Lemine avaient étayé leurs craintes face à l’anarchie architecturale de la capitale, ville sans âme… Je disserte autour de mon manque d’affection pour la grande ville tout en convoquant la mémoire des ports sahariens illustres et fort bien construits, tels Agadez, Tombouctou, Gao, Chinguetti, Ouadane ou Ghardaïa où les paroles de l’architecte égyptien Hassan Fathy résonnent juste : "(Le Mozabite) a lutté avec les matériaux, les contingences, avec sa culture. C’était un duel avec la matière, et lorsqu’il a résolu son problème, il avait créé la beauté. Ce ne pouvait être laid, car cela ne pouvait se faire autrement… Il a construit sa maison selon sa quotidienneté. Chaque ligne exprime l’être qui l’a faite… Voilà une chose interdite à l’homme moderne." Vous l’aurez compris, j’apprécie les villes bien bâties, les cités passionnantes, avec un cœur ancien remarquable. J’aurais aimé connaître Nouakchott dans les années 60.

Traversées Mauritanides : Comment se compose l’espace chez les peuples que vous avez fréquentés ?

Jean-Pierre Valentin : La spatialisation, le positionnement d’un campement wodaabe, par exemple, n’est pas le fruit du hasard. Le domaine des femmes est à l’est et sur le flanc sud. La place des hommes, le point de palabre, est à l’ouest, ou vers le nord ! Les nomades bornent leur espace. Ils habitent un territoire sans mur, sans repère particulier qui autoriserait l’intimité familiale. Alors ils limitent, structurent géographiquement leurs habitudes afin de faciliter la vie sociale. La vie au grand air, dans la proximité des éléments, n’empêche pas voire sollicite des repères. La corde pour les veaux est toujours tendue du nord vers le sud, idem pour l’alignement des calebasses destinées à recevoir le lait.

Chez les éleveurs touaregs, cela peut varier en fonction des communautés : les campements dans la région de Ménaka au Mali sont regroupés, des ensembles de tentes, tandis que l’habitat semble plus dispersé au Niger où un proverbe conseille d’ailleurs "d’éloigner les tentes afin de rapprocher les cœurs"… d’éviter donc les aléas liés à la promiscuité, comme chez les Peuls bergers.

Traversées Mauritanides : Qu’est-ce qui relie ces différents peuples, pas seulement le fait nomade ?

Jean-Pierre Valentin : Par delà la mobilité inhérente aux populations pastorales des zones subsahariennes, ce qui rapproche le plus ces communautés est sans doute la pudeur et l’honneur. La retenue est fondamentale chez les Wodaabe, état qui réclame une vie sobre, spartiate, frugale, un respect des personnes plus âgées, des codes vestimentaires. L’on retrouve cette inclinaison chez les Touaregs, le port strict du voile, l’extraordinaire pudeur devant sa belle famille, ses aînés ; le fait de ne plus prononcer le nom d’une personne décédée… même si certaines de ces coutumes et habitudes ont tendance à disparaître aujourd’hui.

Bien évidemment, l’honneur est au cœur du fonctionnement social, en particulier pour les sociétés guerrières. Quand, en 1916, lors de l’attaque de Filingué, les sabreurs touaregs refluent face à la mitraille, les chefs de fractions des Ioullimminden les tancent en ces termes : "que direz-vous aux femmes de retour aux bivouacs ?" Alors les jeunes chameliers repartent vers un affrontement sans retour, une mort certaine !

Autre lieu, autre figure. L’histoire d’un rebelle maure durant la période coloniale qui trouve endormi sous la tente de son propre frère le commandant français qu’il affronte. La vie de ce dernier sera à cet instant épargnée par respect des règles de l’hospitalité.

Traversées Mauritanides : Il n’y aurait plus assez d’espace dans le monde, mais davantage de liberté. Vous adhérez à cette philosophie ?

Jean-Pierre Valentin : Les Wodaabe, pourtant au cœur des immensités steppiques du Niger, se plaignent en effet du manque d’espace ; étendues que grignotent les agriculteurs sédentaires. L’élevage extensif demande de vastes territoires pour palier les aléas climatiques. L’espace est dévoré par l’extension des villes, la fin des campagnes, la démographie galopante dans bien des régions du monde. Les vastitudes rétrécissent, mais je crois que les zones "hors bornes" existent toujours. Et pour cause, le Sahara, les mers et les forêts…

Mais il n’y a pas davantage de liberté. La géopolitique saharienne, avec l’avènement du narco-djihadisme, ferme le désert. L’espace existe, mais les libertés entravées par un contexte particulier l’interdisent. Si les moyens de communications permettent de rétrécir l’espace, réel ou virtuel, il devient compliqué de voyager. La liberté de circuler est souvent contrariée, en particulier pour les ressortissants du sud… Il n’y a pas davantage de liberté pour les plus démunis. Je m’inscris absolument en faux avec cette assertion. L’espace est certes plus étriqué et la toute puissance de l’économie plombe les libertés.

Traversées Mauritanides : Une morale de la vie, une aspiration au vivre-ensemble si l’on peut dire…

Jean-Pierre Valentin : Ce que je retiendrais du désert, et de mes fréquentations, serait un éloge du temps long. Il faut respecter le temps nécessaire à l’apprivoisement mutuel, afin de devenir des "amis", au sens profond, au sens donné par le renard au petit prince… et ce n’est pas anodin.

Le vivre-ensemble est actuellement malmené, autant au Sahara qu’en Europe… "Le voyage ajoute à la vie", disent les Berbères du Maroc. Alors voyager donne une vision du monde plus juste, qui évite de prendre par la suite des vessies pour des lanternes, les musulmans pour des terroristes, les nomades pour des voleurs… Le bénéfice de ces pérégrinations est là, dans cette salvatrice ouverture d’esprit.

Traversées Mauritanides : Y a-t-il une mystique, pour se repérer dans le désert ?

Jean-Pierre Valentin : C’est étonnant, cette volonté de penser que l’amour du Sahara et des immensités serait lié à une démarche mystique, religieuse… Pour moi l’envie prime, le désir fort de rencontres puis de retrouvailles. Marchant en Algérie, dans le Hoggar, vers l’ermitage du Père de Foucauld, des touristes stoppent leurs tout-terrains à ma hauteur, persuadés que je suis en pèlerinage. Je n’aurai ni le temps ni le souhait de m’expliquer… et pourtant,  je suis seulement là pour marcher, crapahuter tranquillement dans la montagne ! Ils s’éloignent dans un nuage de poussière quand je poursuis tranquillement ma randonnée.

Après, les Gens du désert ont peut-être une approche mystique de leur espace cardinal. Pour ma part, je crois surtout qu’ils ont une fréquentation pratique et sensible d’un territoire qu’ils ont patiemment apprivoisé. Je souligne que la religion est récente dans tout cela.

Traversées Mauritanides : Qu’est-ce qui peut créer une angoisse dans le désert ?

Jean-Pierre Valentin : Les inondations ! Par deux fois, je me suis retrouvé seul, piégé par des pluies nocturnes, diluviennes, avec les eaux qui montent alentour, le vent qui hurle aux oreilles. Alors vous cherchez votre salut dans la fuite, avec la volonté puissante de rejoindre un promontoire. Et vous avez en mémoire la noyade d’Isabelle Eberhardt !

Traversées Mauritanides : Dans le désert, on a toujours le hasard contre soi, dites-vous.

Jean-Pierre Valentin : Ce n’est pas moi qui le dis, mais les Kountas, dans la région de Tombouctou, cités par Théodore Monod. Les nomades, sauf peut-être les Kountas donc, sont souvent imprévoyants. Les morts de soif existent, car l’on transporte peu d’eau, et si le puits est à sec ou manqué, la situation devient rapidement dramatique. Donc, dans le désert, le hasard peut aider, mais ne pas s’en remettre qu’à lui. Seule la prévoyance serait bonne conseillère !

Si j’ai totale confiance en mes amis transhumants, j’essaie au moins de vérifier les réserves d’eau… Bon, il faut certes noter que la résistance à la soif de mes compagnons est supérieure à la mienne.

Traversées Mauritanides : Certaines localités de la Mauritanie, tout comme au Mali ou au Niger, sont classées "zones rouges" par les chancelleries occidentales. Vous dites que cela vous frustre.

Jean-Pierre Valentin : Il y a des zones à risque, c’est avéré, mais cette classification devrait être le fait des pays indépendants concernés, pas des chancelleries occidentales, françaises en particulier. Je trouve les restrictions pour les zones autour d’Agadez ou de Chinguitti assez exagérées. D’ailleurs, je suis allé dans le nord du Niger avec l’aval des autorités nigériennes, qui sont, et c’est heureux, souveraines sur leur territoire. Et récemment la zone d’Agadez a été entrouverte…

Ce qui me frustre est plutôt la lente dégradation, prévisible, de la situation dans ces régions qui ont été abandonnées depuis des lustres, alors que la menace narco-djihadiste existait bel et bien. En territoire touareg, sur les zones sensibles, frontalières, surtout à la suite du chaos libyen, le pourrissement annonciateur du désastre a laissé tout le monde indifférent. Sans réaction tangible… Puis, l’incontrôlable soulèvement c’est transformé en risque concret. Alors là seulement des moyens colossaux ont été débloqués pour une intervention militaire. Oui, il y a de quoi penser que l’on se moque parfois du monde, que ces actions à contre temps sont calculées.

Traversées Mauritanides : Quels sont vos plus beaux souvenirs, en Afrique ou ailleurs ?

Jean-Pierre Valentin : Les retrouvailles avec des bergers isolés, en pleine brousse ; l’éveil du campement, avec les petits bruits matutinaux, le blatèrement des chamelons, le son du lait qui gicle dans une calebasse ; la traversée du Ténéré avec une caravane imposante, 300 bêtes, un vertige horizontal ; des lumières ; le chant de la théière ; Gao où j’avais mes habitudes dans le deuxième quartier historique, et glisser en pirogue sur le fleuve…

Ailleurs… de nombreux instants liés à la qualité de la lumière : récemment, en tournage dans les Hautes-Vosges, un ami sculpteur m’a qualifié de "voleur de lumière" !

Traversées Mauritanides : Qu’est-ce qui vous a marqué pendant les Rencontres littéraires Traversées Mauritanides ?

Jean-Pierre Valentin : Votre volonté Bios de les organiser ! Le fait de tenir à ces rencontres, de les mener à bien dans un contexte difficile, comme partout d’ailleurs pour la culture. Mais aussi la qualité des échanges, la volonté des enseignants engagés à ouvrir un espace de dialogue pour leurs élèves, leurs étudiants, l’écoute du public. Retrouver le désert et la Mauritanie était un pur bonheur.

Et sont venus s’ajouter d’excellents moments. Notamment les tables rondes, conférences et visites dans les établissements. Au Musée national, avec le thème Splendeur du désert et secrets d’écriture… j’ai vécu de beaux échanges avec entre autres les écrivains mauritaniens Sektou Mohamed Vall et Idoumou Mohamed Lemine. Il est plaisant d’évoquer son parcours, sa passion saharienne, son intérêt pour les espaces ouverts du désert et la présence furtive mais roborative des nomades.

                                                                Les rencontres fortes sont pour l’écriture

 

Un dimanche, nous avons connu un fabuleux après-midi au Centre culturel marocain, à écouter les contes de la consœur marocaine Halima Hamdane. La justesse des histoires et la parole d’Halima ont littéralement envouté l’assemblée ! Nous voulions vraiment rester plus longtemps à la suivre. 

Au Racing club, j’ai été enchanté de rencontrer Mme Turkia Daddah, coordinatrice de l’ouvrage Nouakchott, capitale de la Mauritanie - 50 ans de défi. Nous avons évoqué nos visions de la cité, comme évoqué plus haut.

Mes interventions au lycée français Théodore Monod devant des classes de 1ière et terminales littéraires ont été aussi de très beaux moments de partages. Je remercie le proviseur, les enseignantes, les documentalistes, d’avoir organisé ces discussions. J’apprécie énormément ces rencontres scolaires, surtout quand elles ont été si bien préparées, avec des lycéens attentifs et concernés. Et la présence de l’écrivain Amadou Demba Ba, auteur du roman L’Obsession du retour, a permis de discuter des problématiques d’une société mauritanienne pluriethnique. J’ai pu également évoquer la grandeur de la vie saharienne, des communautés nomades parfois décriées par les élites, devant des élèves d’origines variées.

Aussi la pertinence de la table ronde La ville entre refuge, cri et droit… Passionnante et sensible cette discussion, avec des intervenants de qualité : la sociologue Mariem Baba Ahmed et l’iman Abdoulaye Sarr ont retenu toute mon attention. De la ville refuge des extrémismes aux violences latentes, de l’éducation publique dans les quartiers à la mixité sociale et ethnique, des sujets et des questions au cœur de l’actualité et des préoccupations que vous avez su modérer avec mesure, cher Bios.

Traversées Mauritanides : Il y a eu, aussi, votre belle causerie à l’Institut français…

Jean-Pierre Valentin : Oui, mon intervention publique principale organisée le samedi 17 décembre à l’Institut français de Mauritanie. Une rencontre intitulée Dires nomades, durant laquelle j’ai eu le loisir, devant un auditoire attentif et cosmopolite, de convoquer mes souvenirs. Comme voyageur, documentariste et auteur, j’ai raconté mes aventures humaines en territoire nomade, caravanier ; j’ai pu évoquer la richesse et la justesse de cette vie-là, au cœur d’un espace ouvert balisé par des codes et des traditions millénaires.

Narrer mes contacts avec le monde chamelier maure, là, à Nouakchott, parler de la grandeur culturelle et technique de ces populations parfois raillées tandis qu’elles ont su apprivoiser, composer avec le désert, était un pur bonheur. Nous avons également conversé autour du vaste et complexe monde peul des Wodaabe, des steppes nigériennes aux pasteurs des berges sénégalaises…

Un régal aussi de partager les valeurs d’une société mauritanienne forte de peuples complémentaires. Le public de l’IFM avait une attention particulière cet après-midi-là, avec des questions qui ont permis de poursuivre la réflexion. J’ai écouté et reçu de brillants témoignages. Un atout indéniable à préserver, cette diversité fondamentale.

                            Dans le désert le hasard aide, mais ne pas s’en remettre qu’à lui…

Traversées Mauritanides : Vous reviendrez donc toujours sur les terres africaines !

Jean-Pierre Valentin : Absolument ! Je m’y sens chez moi, j’espère à raison… En trente-cinq ans, j’ai passé sept à huit années en Afrique, principalement au cœur de la steppe. Alors je souhaite encore marcher avec les zébus aux longues cornes des pasteurs peuls, ou participer à des expéditions chamelières, hauturières.

Aussi, revenir vivre la guetna à Tidjikja, chez Idoumou, ou écouter au milieu de notes nocturnes la puissance de la poésie de Mariem Derwich… avec des instances sous le signe des allumeurs de réverbères. Oui, j’ai vécu cela aussi, dans une cité où l’on peut interrompre le lampadaire pour dialoguer avec les étoiles ! J’ai également eu le grand bonheur de découvrir les musiciens du groupe WALFADJIRI, en concert. Puis, souvent, j’ai discuté autour des verres de thé avec Saïdou, le chanteur, et Papis le guitariste, de sons sahariens et coutumes peules.

                                                          

Bref, pendant mon séjour, il m’a été donné de convoquer la pertinence d’une vie transhumante apte à produire des richesses, de la valeur ajoutée, de la viande et du lait… Partager mon amour pour cette vie devant des jeunes élèves, étudiants et autres publics, répondre à leurs interrogations opportunes, valoriser les choix de parents ou grands-parents, étaient vraiment de beaux instants. J’ai beaucoup appris, un voyage agréable et constructif grâce aux rencontres, aux amitiés engendrées par l’événement. Sont nés des affinités, des désirs de projets à mener ensemble, des envies de retrouvailles et de collaborations.

J’adresse un grand merci à Campus France, à Fatimata Dème, à l’Ifm, son personnel, à Léopoldine Leblanc à l’origine de ces contacts et bien sûr à l’équipe de Traversées Mauritanides !

Traversées Mauritanides : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Jean-Pierre Valentin : Un projet documentaire, à l’écoute des voix fortes et dignes des femmes touarègues. Et je termine un recueil, des nouvelles de fiction qui se déroulent au Sahara…

 

Propos recueillis par Bios Diallo