Julie Deh, Une écriture du temps
En mars dernier, lors du salon Livre Paris 2018, Julie Deh a été une de nos trouvailles. Et pour cause. De père mauritanien, et de mère française, elle est de .... Sélibaby ! En signant Comme un oiseau (roman), elle élargit le catalogue littéraire de la Mauritanie. Rencontre.
Traversées Mauritanides : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Julie Deh : Je n’aime pas trop parler de moi. Mais, je cède à l’exercice, puisque vous le demandez ! Je suis métisse Franco-mauritanienne, j’ai un mari, deux petits garçons, je vis en France à deux pas de Paris, j’exerce un métier d’indépendante qui sollicite mes compétences rédactionnelles, et je me consacre à des écrits plus personnels dès que je parviens à dégager du temps nécessaire…
Traversées Mauritanides : Comment êtes-vous arrivée à l’écriture ?
Julie Deh : L’écriture s’est imposée à moi tout naturellement, depuis mon plus jeune âge. Autrement dit, j’ai toujours écrit. De petites comptines à six ou sept ans, des nouvelles, des poèmes… Et jusqu’aux romans. Comme un oiseau est le premier de ces romans que j’ai rendu public, grâce à l’autoédition.
Traversées Mauritanides : L’écriture sur l’amant, le 1er amour rencontré, sans projet, puis après le départ ou la séparation, les regrets. Un sujet bateau, non ?
Julie Deh : L’amour est un sujet universel qui peut toucher chacun, c’est un thème à mille facettes, exploré sans cesse par la poésie et la littérature, le cinéma, la musique… De mon point de vue, cela n’a rien de bateau. Par ailleurs, il ne faut pas se fier aux apparences : Comme un oiseau n’est pas la romance que l’on pourrait croire, et sa lecture recèle des surprises !
Traversées Mauritanides : Vous dites que Jean n’était pas un marin de peu de mots ! Autrement dit, un amoureux élogieux qui avait le verbe pour parler aux femmes…
Julie Deh : En effet, le roman évoque en filigrane le pouvoir des mots. Cerise Loiseau, une des protagonistes, se rêverait plus éloquente, et tend à s’élever de sa condition très modeste par la finesse de son expression… J’attache moi-même une grande importance à la qualité de langage, car la manière dont on s’exprime révèle une large part de ce que l’on est. Il ne s’agit pas de parler à l’imparfait du subjonctif et de posséder tout le vocabulaire du dictionnaire, mais j’ai par exemple horreur de la grossièreté.
Traversées Mauritanides : Et de l’autre côté, vous accordez à Monsieur Loiseau cette note d’attention : « on ne passe pas une vie aux côtés de quelqu’un sans un petit peu s’habituer, la mort de Loiseau donc, sa brusque disparition sur un coup de froid mal encaissé »…
Julie Deh : Ah ça, c’est le condensé d’une vie subie, mais subie parce qu’on l’a bien acceptée aussi. Combien de personnes composent un couple sans amour, exercent un métier sans y trouver d’intérêt, attendent demain comme est venu et passé aujourd’hui, sans plus de perspectives et sans se permettre la quête d’autre chose ? A cela Comme un oiseau répond qu’il n’est jamais trop tard, à condition de se saisir de son espoir.
Traversées Mauritanides : Pourquoi avoir choisi un tableau de veuve pour un auteur jeune ?
Julie Deh : L’âge est un sujet qui me touche particulièrement, et universel aussi. Se projeter dans un personnage plus âgé permet de jeter un regard d’expérience sur l’existence. Evoquer les regrets d’une jeune femme de trente ans n’aurait pas eu la même portée, ni la même force. Le rebond d’espoir est d’autant plus frappant chez Cerise Loiseau, dont on pourrait croire le chemin de vie déjà abouti.
Traversées Mauritanides : Ce livre est aussi celui d’un voyage, de deux amies, Cerise Loiseau et Sadio Sy. Un besoin de témoins ? Surtout que les fins ne sont pas du tout les mêmes !
Julie Deh : Je n’écris pas en faisant des plans, ou des prévisions. C’est le personnage de Cerise qui a porté l’histoire jusqu’à Sadio Sy. Ce que je peux dire, c’est que la rencontre m’a intéressée pour ses dimensions intergénérationnelles, interculturelles, et la poésie qui s’en dégage. Et puis Comme un oiseau est une sorte de conte, et Sadio Sy n’est pas loin d’être une fée…
Traversées Mauritanides : Pourquoi le choix de marier les noms Cerise Loiseau et Sadio Sy, un clin d’œil à vos origines métisses ?
Julie Deh : Peut-être, malgré moi ! En tout cas, j’aime les contrastes, et j’ai aimé harmoniser ces deux beaux personnages de femmes, très différentes mais qui nous parlent à chacun, par leurs parcours, de la condition féminine. Elles forment un binôme inattendu mais que j’ai voulu évocateur, sincère et touchant.
Traversées Mauritanides : Quelles relations entretenez-vous avec la Mauritanie ?
Julie Deh : C’est le pays où je suis née mais j’y ai peu vécu. La Mauritanie est le pays de mes origines paternelles où réside encore une large partie de ma famille. Un pays indissociable de mon identité donc… mais que je connais mal.
Traversées Mauritanides : Votre dernier voyage ?
Julie Deh : En Mauritanie ? Il y a 20 ans, lors de la Coupe de Monde de football 1998 ! C’est de là-bas que j’avais vibré pour les Bleus ! Une belle ambiance avec les cousins footeux ! Sinon, je reviens d’un délicieux séjour en Sicile. Mais partout où je vais, mon cœur reste à la Mauritanie. Donc elle est toujours présente en moi.
Traversées Mauritanides : Sur quoi portera votre prochain livre ?
Julie Deh : Puisque je ne planifie pas mon écriture, je ne peux honnêtement pas répondre à cette question. Ce sera une surprise pour moi-même de voir où me mènera ma plume la prochaine fois... J’ai hâte d’en avoir le temps !
Propos recueillis par Bios Diallo