Alain Mabanckou, le monde ce langage
Bibliothèque de TM
Sans tabou, les livres ont leur vie !
Le Congolais Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006 pour son roman Mémoire de porc-épic, est un auteur à l’imaginaire prolixe. Son dernier livre, Le monde est mon langage, est un voyage à travers des portraits intimes.
"J’ai choisi depuis longtemps de ne pas m’enfermer, de ne pas considérer les choses de manière figée, mais de prêter plutôt l’oreille à la rumeur du monde". Ces premières lignes de Le monde est mon langage donnent le ton. Alain Mabanckou a choisi l’ouverture, à travers une série de balades, entre espaces historiques et vies privées. Des hommages à des œuvres et actes ayant contribué à sa culture. Il ne s’agit pas toujours d’influences cathartiques, mais souvent de simples liens avec un mot ou une phrase ayant leurs pesants. Cela se lit à travers l’incipit à chaque nouveau chapitre ou pays.
Par la lecture et l’écriture, Alain Mabanckou dit avoir trouvé un véritable lien de parenté entre lui et ceux qui écrivent ou sont traduits en langue française. Un hymne appuyé au français qui fait de Le monde est mon langage une "autobiographie capricieuse élaborée grâce au regard des uns et des autres". L’entrée en matière par la France et Jean-Marie-Gustave Le Clézio est, plus que de la politesse, symbolique. Quand Mabanckou évoque la conférence de l’auteur de Désert (Gallimard, 1980) au Louvre, cela rappelle sa propre leçon inaugurale au Collège de France en mars 2016. Il y a aussi les échanges épistolaires, que les deux entretiennent depuis de nombreuses années. Et si l’auteur de Bleu Blanc Rouge (Présence Africaine, 1998) a rejoint la France au moment de poursuivre ses études supérieures, Le Clésio a de son côté connu l’Afrique dans sa jeunesse. La proximité avec Le Clézio, et d’autres, fait de Le monde est mon langage un texte nourri par de fortes amitiés. On apprend, énormément, sur chacun des personnages. Des bribes de confidences, tirées à la source !
Nouvelle-Orléans, aux Etats-Unis, rencontre saisissante avec Zéphirin Métellus, Haïtien se réclamant de Toussaint Louverture. Dans son ton, la charge de ses blessures. Loin de digérer les mensonges des siens : "Qu’un Blanc me dise qu’il reviendra et ne revienne pas, je m’en fous. Mais pas un Noir ! Non, non et non ! […] Si je crèche sur ce trottoir, c’est parce que j’attends encore ceux qui m’ont dit qu’ils viendraient me tirer de cette situation pour me ramener chez moi en Haïti. Et ça fait des décennies que ça dure. Je mourrai comme mon ancêtre, dans la solitude de ma cellule." Sa cellule ? Un bout de trottoir, à Carondelet Street, marqué par une craie bleue. Ce que dit cet homme dépasse la pièce de monnaie qu’il demande aux passants, ce jour à l’auteur de Demain j’aurai vingt ans (Gallimard, 2010). Il y a là Le sanglot de l’homme noir (Fayard, 2002) ; la blessure d’un pays, Haïti, où la négritude s’est mise pour la première fois debout ! Et l’arbre n’ayant pu se maintenir droit, ses fils se sont confiés à l’errance. Mais Haïti est loin d’être singulier dans ce sort. Ils sont nombreux les foyers de colère, quand des "populations plongent dans des guerres civiles et que […] toute la nation se fissure pour ne plus ressembler qu’à une motte de terre piétinée par des éléphants enragés". Le regret jusque dans cette missive que l’auteur adresse au jeune Lounès, à Alger, entre évocation de la littérature arabe et les années noires relevées au prix du sang et du courage. La chute du texte évoquant un voisin de palier à Santa Monica malade et condamné, ajouté au drame de Zéphirin, montre des vies communes broyées par le remords, l’amertume et le désespoir. Reste à formuler des vœux, car "on n’est jamais trop nombreux pour s’adresser à Dieu et, le plus souvent, Celui-ci entend en priorité les prières des tout-petits".
L’auteur de Petit piment (Seuil, 2015) ouvre aussi des portes sur ses personnages. Il nous narre des genèses et coulisses. Il en va ainsi de "Madame Mfoa", qui n’est autre que la gérante du restaurant qu’on appelle "Maman Benin", au Benin. Ou encore du "Crédit a voyagé", emprunté à un Cabaret de Douala, et qu’on retrouve comme Madame Mfoa, dans Verre Cassé (Seuil, 20015).
La musicalité envoutante de Le monde est mon langage nous entraîne de Tié-Tié, le quartier d’enfance de Pointe-Noire à Buenos Aires, en passant par Conakry, Montréal, Château Rouge, sans oublier la Seine française à partir de laquelle on dira que tout s’est construit pour l’Ecrivain et Oiseau migrateur (André Versaille, 2011). Et "la parenté", passant par le chas de la langue française, conduit jusqu’à notre salon d’illustres plumes et personnalités : Sony Labou Tansi, Aminata Sow Fall, Bessora, Dany Laferrière, Henri Lopes, Camara Laye…. Suzanne Kala-Lobè et Jocelyn le Bachelor, le faiseur des princes de la sape dont Alain Mabanckou est désormais l’incarnation. Ainsi, après avoir assis ses univers de poète et de romancier, le prix Renaudot 2006 montre avec Le monde est mon langage son talent de portraitiste !
Bios Diallo
Le monde est mon langage
Alain Mabanckou, Grasset, 315 pp., 19 €