Williams Sassine, Une ombre de postérité
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Williams Sassine, Une ombre de postérité

 

                                                         

Le jeudi 2 mars 2017 la médiathèque de l'Institut français de Mauritanie était à l’heure    Williams Sassine. Venue présenter son livre Williams Sassine, Itinéraires d'un indigné guinéen, publié aux Ed Karthala, la Française Elisabeth Degon fait (re) découvrir à un public heureux l’écrivain guinéen qui vécut pendant de nombreuses années en Mauritanie. Métis, de père libanais maronite chrétien et de mère peule musulmane, Sassine, arrivé en 1974, enseigna les mathématiques à Kaédi, sur les rives du fleuve Sénégal, puis au Lycée Technique de Nouakchott.

En Mauritanie, Williams Sassine qui avait déjà une carrière littéraire entamée dresse de nouveaux contours à son imaginaire. Il complète ici Wirriyamu[1], et ajoute des racines à ses productions futures. Le Jeune homme de sable[2], Le Zéhéros n’est pas n’importe qui[3], L’Afrique en morceaux[4], Légende d’une vérité[5] et à titre posthume Les indépendan-tristes[6] et Mémoire d’une peau[7] s’imprègnent de l’austérité et de sa solitude dans les villes mauritaniennes.

Bibliothécaire en Guinée, c’est là-bas qu’Elisabeth Degon rencontre l’auteur de Saint Monsieur Baly[8] et tombe sous le charme de sa créativité. Williams Sassine a regagné son pays en 1988, après la mort de Sékou Touré, mettant fin à des décennies d’exil à tourner autour de la Guinée. Williams Sassine, Itinéraires d'un indigné est un livre qui se lit comme un roman. Tellement Elisabeth a su restituer le quotidien et les multiples lieux de vie. Aucun propos de trop dans ce document, mais des témoignages forts. Et des témoignages, Elisabeth Degon en aura davantage à son arrivée à Nouakchott, après ceux qu’elle avait recueillis par téléphones, mails, notes d’archives d’éditeurs et de la famille. Avant sa rencontre publique, Elisabath a été visiter l’ancienne maison qu’occupaient les Sassine à l’îlot G, des familles-amies, le Lycée Technique où elle retrouve ses anciens élèves aujourd’hui aux commandes.   

Le Centre culturel français. Il fallait être dans cet espace qui s’appelle aujourd’hui Institut français de Mauritanie et que Sassine fréquenta assidûment entre prêts de livres, animations de conférences, ateliers d’écriture et… cours de karaté ! Et comme il arrive que la postérité convoque des témoins, Madame Marie-Pierre Pauchet, alors bibliothécaire et en charge du Fonds Mauritanie qui a connu et reçu Sassine en ce lieu était dans la salle. Il y avait là aussi le journaliste, député et homme politique Ibrahim Sarr qui reçut Sassine à ses émissions (télé et radio) au milieu des années 1980, le professeur Cheikh Saad Bou Kamara, sociologue, qui partagea des moments de militances avec lui, et votre serviteur, alors élève au lycée de Sélibaby, dont il fut le premier conseiller littéraire.

Voilà donc Sassine restitué à Nouakchott. Ce moment était celui de l’écriture, de la littérature. Mais pas seulement. Le plus : la reconstitution d’un destin peint dans l’errance ; de Kankan, en Haute-Guinée, à Nouakchott, en passant par la France, le Sénégal, le Gabon, le Libéria, la Côte d’Ivoire, le Niger… A chacune de ces escales, Sassine enseigna et dirigea des établissements. Mais partout son intégration sera difficile, malgré sa détermination et son dévouement qu’il mettra dans le personnage de Saint Baly. Ami des fous, mendiants, lépreux et autres bâtards, il est le héraut des cultures rebelles, de la révolte. Auteur atypique, il savait que la légende qui donne au sang de l’albinos une force surnaturelle favorable à la conquête des pouvoirs est une punaise qui mine tout corps intellectuel indépendant.

                                

Esprit brillant, discret mais espiègle, écorché vif, teigneux sachant s’occuper des autres malgré ses propres maux, il se saisit de l’humour pour rendre la vie à ceux qui la maltraitent. Le gringalet, qui s’appelait lui-même poids-plume, avait fait sienne la formule d’Aimé Césaire : "On a beau peindre blanc le pied de l’arbre, l’écorce en dessous crie" ! Sassine finira ses cris dans le journal satirique le Lynx où il tenait la chronique "Assassine". Que n’a-t-on pas fait pour récupérer sa plume, ce sang de l’albinos ? En refusant toute "collaboration assassine", l’auteur de L’Alphabête[9] prend le parti des pauvres jusqu’au bout.

Sassine, matraqué du destin, est mort abîmé par le remords et le dénuement, le 9 février 1997 à seulement 53 ans. Mais ses ouvrages, même s’il aimait dire qu’en "Afrique, un écrivain est un écrit vain", continuent de nous illuminer. Et Elisabeth Degon, par cette publication, pousse à revisiter ses écrits qui n’ont pas pris de rides. La glorieuse postérité !                                                                                                                                                                                           Bios Diallo

 

 

                                                       

 

Bibliographie

Williams Sassine, Itinéraires d'un indigné guinéen, Ed Karthala, par Elisabeth Degon

Aux éditions Présence Africaine

Saint Monsieur Baly, roman, 1973

Wirriyamu, roman, 1976

Le Jeune homme de sable, roman, 1979

Le Zéhéros n’est pas n’importe qui, roman, 1985

L’Alphabête, contes, 1982

Mémoire d’une peau, roman, 1998

Aux éditions Le bruit des autres

L’Afrique en morceaux, nouvelles, 1994

Légende d’une vérité, théâtre, 1995, suivi de Tu Laura, fables, 1996

Les indépendan-tristes, théâtre, 1997

A lire également

Williams Sassine écrivain de la marginalité, Ed du Gref, 1995, par Jacques Chevrier

 

 

[1] Wirriyamu, roman, 1976

[2] Le Jeune homme de sable, roman, 1979

[3] Le Zéhéros n’est pas n’importe qui, roman, 1985

[4] L’Afrique en morceaux, nouvelles, 1994

[5] Légende d’une vérité, théâtre, 1995

[6] Les indépendan-tristes, théâtre, 1997

[7] Mémoire d’une peau, roman, 1998

[8] Saint Monsieur Baly, roman, 1973

[9] L’Alphabête, contes, 1982