Frédéric Coconnier, traces de Saint-Exupéry
Interview avec Fréderic Coconnier
L’aviateur Antoine de Saint-Exupéry est mort, lors d’un accident d’avion, en juillet 1944. Mais son ombre plane toujours sur ses nombreux lecteurs habités par son roman Le Petit Prince. Une actualité que fait revisiter le journaliste et écrivain Fréderic Coconnier à travers son livre Saint-Exupéry - Une aventure marocaine (La Croisée des chemins, 2017). Pour la promotion de son essai nourri d’archives et de témoignages, l’auteur qui sera en Mauritanie sur invitation de l’Institut français ce mois de décembre fera une rencontre à la Maison de quartier de Traversées Mauritanides à la Cité Plage le jeudi 13 à 17h, et donnera deux conférences; une à l'Institut français le vendredi 14 à 18h et le 15 à Nouadhibou. Ceci coïncidera avec le 100e anniversaire du premier vol Toulouse-Casablanca (le 25 décembre 1919) qui est considéré comme la première étape de l'Aéropostale dont Saint-Exupéry reste l’incarnation.
Ces conférences seront l'occasion d’immersions dans les nombreuses vies et la pensée de Saint-Exupéry, de l'Aéropostale à la littérature. Traversées Mauritanides donne un avant-goût à l’étape mauritanienne dont le désert est au cœur de Vol de nuit et pas seulement !
« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis ».
Traversées Mauritanides : Qui est Saint-Exupéry ?
Fréderic Coconnier : Antoine de Saint-Exupéry est d’abord un des plus grands écrivains du 20ème siècle. Pilote d’avion, ayant participé à la grande aventure de l’Aéropostale, tout le monde connaît son magnifique roman Le Petit Prince. Mais il a aussi écrit d’autres livres, comme le puissant Terre des Hommes, Courrier Sud, Vol de nuit, Pilote de guerre, Citadelles, etc.
Pour lui, l’écriture et l’aviation étaient liées. Il disait que « l’aviateur et l’écrivain se confondent en une égale prise de conscience ». Qu’il fût un écrivain majeur, j’en suis convaincu. En revanche, j’ai plus de doutes sur ses qualités de pilote, dans la mesure où son histoire est jalonnée de nombreux accidents qui auraient pu lui coûter la vie plus d’une fois : au Bourget, dans le désert de Libye, au Guatemala... Heureusement, il s’en est toujours sorti. Il avait la baraka. En même temps, on disait à l’époque qu’un bon pilote était un pilote en vie. Alors, il n’était peut-être pas si mauvais pilote que cela !
Traversées Mauritanides : Que représente-il pour vous ?
Fréderic Coconnier : Pour moi, c’est avant tout un très grand écrivain. Mais c’est aussi un aventurier. Pas un aventurier qui se contente de vivre son aventure de manière hédonique, mais quelqu’un qui porte un regard réfléchi et critique sur cette aventure et qui en tire des leçons de vie. Et puis, c’est un humaniste. Saint-Exupéry aime aller à la rencontre des autres, il aime l’échange, le dialogue. Et surtout il aborde les autres avec respect et humilité, sans préjugés. Dans Citadelle, il écrit cette très belle phrase : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis ». Il pense que, dans les rapports humains, la différence est une source d’enrichissement, pas de conflit. On aimerait entendre plus souvent de tels propos aujourd’hui.
C’est un hasard de la vie qui m’a amené à m’intéresser à ces multiples facettes de Saint-Exupéry et à l’Aéropostale. Il y a une vingtaine d’années, journaliste à Médi 1 au Maroc, j’ai couvert le rallye aérien Toulouse-Saint-Louis du Sénégal qui emmène des petits avions de tourisme sur les traces de l’Aéropostale. Cela m’a donné envie de me replonger dans les œuvres de Saint-Exupéry et de lire d’autres livres sur cette aventure. Et là, je me suis rendu compte de deux choses. La première, c’est que le Maroc avait été très important et très formateur dans la vie de Saint-Exupéry. Et la deuxième, c’est que cette histoire était très peu connue au Maroc. Cela m’a donné envie d’écrire mon livre « Saint-Exupéry, une aventure marocaine », dans lequel je raconte ses liens avec le Maroc et avec le désert. Je trouvais important de rappeler aux Marocains que ce grand écrivain faisait partie de leur histoire. J’ajouterai que Patrick Poivre d’Arvor m’a fait la gentillesse de préfacer mon livre. C’est un grand admirateur de Saint-Exupéry à qui il a consacré plusieurs ouvrages.
Traversées Mauritanides : Votre livre s'intitule Saint-Exupéry, une aventure marocaine. Pourquoi ce titre, un peu ... restrictif puisque le passage par la Mauritanie semble s'imposer?
Fréderic Coconnier : Mon livre s'intitule "Saint-Exupéry, une aventure marocaine" parce que, comme je vous l'ai dit, des liens très étroits se sont tissés avec le temps entre Saint-Exupéry et le Maroc. Il y a séjourné une première fois lorsqu'il a fait son service militaire en 1921. Puis il est resté en poste à Cap Juby pendant 18 mois, entre 1927 et 1929, au cours desquels il est devenu écrivain. Et il a de nouveau séjourné à plusieurs reprises au Maroc au début des années 30, que ce soit pour des périodes relativement longues comme lorsqu'il a habité à Casablanca avec son épouse Consuelo, ou pour des périodes plus courtes comme lorsqu'il a participé au tournage du film Courrier Sud de Pierre Billon. C'est cela qui explique le titre de mon livre. Je ne pense pas qu'il y ait là quoi que ce soit de restrictif. Les rapports que Saint-Exupéry a pu avoir avec la Mauritanie étaient beaucoup moins intenses que ceux qu'il a eu avec le Maroc. Il n'y a jamais séjourné durablement et n'a écrit aucun texte majeur sur la Mauritanie. Comme je vous l'ai dit, les pilotes se contentaient généralement de survoler le littoral pour relier Port Étienne (Nouadhibou) à Saint-Louis du Sénégal sans s'arrêter.
Traversées Mauritanides : Son entrée en Mauritanie se fera par le Maroc. Mais de ce dernier, il ne garde pas un bon souvenir
Fréderic Coconnier : Saint-Exupéry vient pour la première fois au Maroc en 1921, à l’âge de 21 ans, pour faire son service militaire au 37ème régiment d’aviation de Casablanca. Mais il est très déçu par Casablanca, parce qu’il s’attendait à y trouver le désert. Dans une lettre à sa mère, il se demande où sont les bananiers, les dattiers et les cocotiers dont il avait rêvé ! Pour lui, il y a trop de béton, trop d’immeubles. Casablanca, à cette époque, était déjà une ville moderne de 100 000 habitants sillonnée par les voitures et les tramways. Ce n’est pas du tout à cela qu’il s’attendait. En revanche, il apprécie beaucoup Rabat, où il s’échappe dès qu’il le peut, et l’ambiance des médinas avec tous leurs parfums et leurs couleurs. Quant au désert, il le découvrira plus tard et ce sera pour lui une vraie révélation.
Traversées Mauritanides : En quoi l’Aéropostale le consacre comme un pilote spécial ?
Fréderic Coconnier : Tous les pilotes qui ont participé à l’épopée de l’Aéropostale étaient des pilotes « spéciaux ». Il fallait être un peu fou pour monter dans les avions de l’époque, des machines très rustiques qui tombaient sans arrêt en panne. Dans les Breguet 14, il n’y avait pas d’instrument de vol, ni de cockpit, si bien que les pilotes volaient à vue, la tête à l’air, en suivant la côte pour ne pas se perdre. C’était des conditions de vol extrêmement éprouvantes. Quand ils décollaient de Toulouse en plein hiver, il pouvait neiger et faire 0 degré. Et dans le désert, la température pouvait monter à 50 degrés dans l’avion. Sans parler des tempêtes de sable et des turbulences qui pouvaient être très violentes. Un jour, dans le sud de l’Espagne, un pilote a même été éjecté de son avion en plein vol par les turbulences ! Mais ce n’est pas pour autant que les pilotes se plaignaient. Le risque était inhérent à leur métier d’aviateur et ils l’acceptaient sans rechigner. André Gide, qui connaissait bien Saint-Exupéry, disait que pour lui, la vie n’avait de saveur que si elle était risquée. C’est ce qui faisait de ce métier de pilote, un métier un peu « spécial ».
Traversées Mauritanides : C’est quoi, au juste, l’Aéropostale ?
Fréderic Coconnier : L’Aéropostale, c’est l’idée d’un industriel de Toulouse, Pierre-Georges Latécoère, qui fabriquait des avions pendant la première guerre mondiale. À la fin de la guerre, en 1918, il s’est retrouvé avec ses avions sur les bras et il a eu l’idée de les utiliser pour transporter du courrier et des passagers vers le Maroc et le Sénégal, où vivaient d’importantes communautés françaises. C’était un pari audacieux. Latécoère a prononcé cette phrase restée célèbre : « J’ai refait tous les calculs, notre idée est irréalisable. Il ne nous reste qu’une chose à faire : la réaliser ». Et il l’a réalisée. La ligne Toulouse-Casablanca a été ouverte en 1919 et celle entre Toulouse et Dakar en 1925. Mais l’Aéropostale ne s’est pas arrêtée là. Les progrès de l’industrie aéronautique ont permis d’avoir des avions plus performants et l’Aéropostale a franchi l’Atlantique pour se développer au Brésil, en Argentine, au Chili. Malheureusement, l’histoire s’est terminée avec la grande crise économique de 1929. La Compagnie Générale Aéropostale, en proie à de grosses difficultés financières, a été intégrée à Air France en 1934. C’est donc une aventure qui n’a duré qu’une quinzaine d’années, mais qui s’est fortement ancrée dans l’imaginaire collectif, notamment grâce aux écrits de Saint-Exupéry.
Traversées Mauritanides : Quelles sont les étapes les plus importantes de son périple ?
Fréderic Coconnier : Saint-Exupéry rejoint l’Aéropostale en 1926. Comme tous les pilotes de la compagnie, il commence comme ouvrier dans les ateliers de Toulouse. Au bout de quelques mois, il effectue ses premiers vols entre Toulouse et Dakar. Et en octobre 1927, il est nommé chef d’aéroplace à Cap Juby, l’actuelle Tarfaya, dans le sud du Maroc. Son travail consiste à entretenir les avions et à assurer l’acheminement du courrier. À l’Aéropostale, le mot d’ordre est : « le courrier d’abord ». Il n’y a rien de plus important et les pilotes, les mécanos, les radios, tous les employés s’y soumettent. À Cap Juby, Saint-Exupéry est aussi chargé du maintien des bonnes relations avec les Maures de la région et avec les Espagnols qui occupent ce qu’on appelait alors le Rio de Oro. Il y reste dix-huit mois qui sont très importants dans sa vie. C’est là qu’il s’affirme réellement comme pilote, comme écrivain et comme homme. Ensuite, il participe au développement de l’Aéropostale en Amérique du Sud. Il y rencontre une jeune veuve salvadorienne, Consuelo, qu’il épouse.
Traversées Mauritanides : Sa seconde passion, on le sait, c’est l’écriture. Comment est née celle-ci ?
Fréderic Coconnier : Saint-Exupéry a commencé à écrire très tôt. Lorsqu’il a fait son baptême de l’air, à 12 ans, il est redescendu de l’avion totalement subjugué et a écrit un poème dans lequel il décrivait ses sensations. Déjà littérature et aviation se rejoignaient en lui. Après son bac, en 1917, il s’est présenté au concours d’entrée à l’École Navale. Il a obtenu d’excellentes notes dans les matières scientifiques, mais s’est fait recaler à cause des matières littéraires, ce qui est tout de même un comble quand on sait qu’il a ensuite obtenu le Prix Femina et le Grand Prix du roman de l’Académie Française !
Ambitieux, Saint-Exupéry s’inscrit aux Beaux-Arts et sa cousine l’introduit dans les salons littéraires parisiens. Il fréquente des écrivains à la brasserie Lipp et au Café de Flore et écrit des poèmes. Mais son premier texte publié par un éditeur, en 1926, est pourtant une nouvelle. Son titre ne s’invente pas : « L’aviateur ». C’est lorsqu’il sera à Cap Juby qu’il prendra vraiment le temps d’écrire et qu’il publiera son premier roman, Courrier Sud.
Traversées Mauritanides : Vous le dites, il a commencé par Courrier Sud. Mais on se souvient à peine de ce texte, tellement il a été éclipsé par le Petit Prince. Qu’est-ce qui fait la singularité de ce roman, petit par la taille, mais dense par son écriture et son contenu ?
Fréderic Coconnier : En fait, il y a plusieurs écrivains en Saint-Exupéry. Il y a l’auteur de Courrier Sud et de Vol de nuit, ses deux premiers romans, dans lesquels il raconte la vie des pilotes de l’Aéropostale. Il y a Terre des Hommes qui est à mi-chemin entre la littérature et le journalisme. Il y a Citadelles, son œuvre posthume, qui est très empreinte de philosophie. Et il y a aussi et surtout Le Petit Prince, un conte qui, vous avez raison, a tendance à occulter le reste de son œuvre, dans la mesure où il est considéré comme le livre non-religieux le plus lu au monde. Ce qui fait sa force, outre sa langue très simple et les magnifiques aquarelles de l’auteur, c’est que c’est un livre multiple. On peut en effet le lire comme un conte, comme un ouvrage de philosophie, comme une œuvre poétique, comme une autobiographie cachée, comme une invitation au rêve, comme une réflexion sur le sens du monde. Cela en fait un livre universel qui peut être lu aussi bien par des enfants que par des adultes, même si je considère que c’est plutôt un livre pour adultes, car il a une profondeur philosophique qui échappe aux plus jeunes. En fait, c’est un livre qui est fait pour être lu et relu à plusieurs époques de sa vie parce que, comme le dit Saint-Exupéry lui-même, « toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent ».
Traversées Mauritanides : Ce livre a été conçu dans le désert mauritanien, preuve que l’inspiration ou la solitude y étaient fortes, ou simple fait de circonstances ?
Fréderic Coconnier : Il est difficile de dire où Le Petit Prince a été « conçu ». Ce qui est sûr, c’est qu’il a été écrit en 1942 à New York, où Saint-Exupéry vivait alors, à la demande de son éditeur américain, Eugene Reynal, qui souhaitait un conte pour Noël. Le livre a pris un peu de retard et il n’est sorti qu’en avril 1943. Dans ce livre, on trouve beaucoup d’éléments qui se réfèrent directement à la vie de Saint-Exupéry. À commencer par le désert. Mais il est impossible de dire s’il s’agit du désert mauritanien, de Cap Juby ou du désert libyen, où il a erré pendant trois jours après un accident en 1935. Est-ce dans un de ces lieux qu’il a imaginé la rencontre avec un Petit Prince venu d’une autre planète ? On ne le sait pas. Les biographes ne sont pas tous d’accord non plus sur le personnage du Petit Prince. Est-ce un avatar de Saint-Exupéry enfant ? Est-ce son frère qu’il a perdu quand il était enfant ? Est-ce un autre enfant rencontré on ne sait où ? La question reste ouverte.
Certains éléments autobiographiques du Petit Prince semblent en tout cas plus évidents. Le narrateur, un pilote perdu dans le désert, triste d’avoir perdu un ami, fait fortement penser à Saint-Exupéry lui-même, qui ne parvenait pas à se remettre de la disparition de ses deux amis Mermoz et Guillaumet. La rose à épines, c’est Consuelo, son épouse. Le renard impossible à apprivoiser, un fennec qui venait rôder autour de Cap Juby. Le businessman, Pierre-Georges Latécoère. En réalité, je pense que Le Petit Prince est à la fois le fruit des expériences vécues par Saint-Exupéry et de son imagination. Et puis, cela ne me dérange pas que ce livre laisse des questions sans réponses.
Traversées Mauritanides : Quelles furent ses relations avec les tribus maures ?
Fréderic Coconnier : Elles furent très bonnes, parce que Saint-Exupéry a abordé les Maures avec beaucoup d’humilité et d’ouverture d’esprit, en oubliant ses certitudes d’Européen. À Cap Juby, il a appris l’arabe, il allait boire le thé sous la khaima et il s’habillait souvent d’une djellaba. L’écrivain et journaliste Joseph Kessel raconte qu’on le distinguait mal des Maures et qu’on aurait pu croire qu’il était né sous une tente nomade.
Saint-Exupéry emmenait dans son avion des dignitaires maures et des enfants de Cap Juby pour des balades au-dessus du désert. J’ai rencontré à Tarfaya un homme qui avait volé avec lui quand il avait douze ans et qui, soixante-dix ans plus tard, en gardait un souvenir émerveillé. Certains Maures ont aussi joué un rôle actif dans le développement de l’Aéropostale. Il s’agit des interprètes qui embarquaient avec les pilotes au cas où ils devraient se poser en plein désert. Comme les avions tombaient souvent en panne, les pilotes étaient des proies tentantes pour certaines tribus qui les enlevaient pour demander des rançons. Mermoz est ainsi resté prisonnier pendant plusieurs semaines, d’autres pilotes pendant quatre mois. Malheureusement, certains ont aussi été tués.
Traversées Mauritanides : Triste, le paysage du désert ?
Fréderic Coconnier : C’est en tout cas ce que dit le Petit Prince : c’est le plus beau et le plus triste paysage du monde. Beauté et tristesse : on est dans une vision assez romantique du désert. Mais le désert, c’est beaucoup plus que cela pour Saint-Exupéry. C’est comme une sorte de miroir dans lequel il se regarde et se découvre. Il le dit très bien dans Terre des Hommes : « le désert, c’était ce qui naissait en nous, ce que nous apprenions sur nous-mêmes ». Dans le désert, rien ne vient limiter la pensée, c’est une porte ouverte sur les rêves. Ce n’est pas un hasard si c’est au milieu du désert, à Cap Juby, qu’il a écrit son premier roman, Courrier Sud. Et des années plus tard, quand il a écrit Le Petit Prince, il en a situé l’action dans le désert alors que lui-même vivait à New York à ce moment-là.
Traversées Mauritanides : Quelles régions a-t-il visitées en Mauritanie ?
Fréderic Coconnier : Les pilotes de l’Aéropostale faisaient escale à Nouadhibou, qui s’appelait alors Port Étienne. Ensuite, pour descendre vers Saint-Louis du Sénégal, ils longeaient la côte pour ne pas se perdre. Donc, ils sont très peu allés à l’intérieur des terres. Au début de l’Aéropostale, les équipes de Pierre-Georges Latécoère avaient envisagé d’installer un terrain relais entre Port Étienne et Saint-Louis. C’est M’Terert, pas très loin de Nouakchott, qui avait été choisi. Mais ce terrain a finalement été très peu utilisé car il s’est avéré que les avions pouvaient rallier Saint-Louis directement.
Pour en revenir à Saint-Exupéry, il a gardé un souvenir très particulier de son premier vol au-dessus de la Mauritanie, en février 1927. En survolant le Banc d’Arguin, son avion est tombé en panne et il a dû se poser en urgence. Le deuxième avion, piloté par Henri Guillaumet, son meilleur ami, s’est posé à proximité pour prendre en charge le courrier. Guillaumet a redécollé et Saint-Ex a dû rester toute une nuit à attendre, près de son avion accidenté. Une nuit d’angoisse car Guillaumet l’avait mis en garde contre les fréquentes attaques de Maures dans cette région. Saint-Exupéry est donc resté sur le qui-vive, l’arme à la main, la peur au ventre, attentif au moindre bruit. Mais lorsque Guillaumet est revenu le lendemain, il est parti d’un grand éclat de rire, satisfait de sa plaisanterie : en réalité, cette zone ne présentait pas le moindre danger.
Traversées Mauritanides : Saint-Exupéry c’est aussi… l’amour ! C’est tout humain, sauf que celui-ci lui vaudra une chute dans sa carrière et une traversée de galères
Fréderic Coconnier : Après son service militaire au Maroc, Saint-Exupéry rentre en France en 1921et s’engage dans l’armée. Il retrouve alors Louise de Vilmorin qui n’est pas encore l’écrivaine qu’elle allait devenir. Mais les parents de la jeune femme, qu’il connaissait avant de partir au Maroc, ne voient pas cette relation d’un bon œil. Ils ne veulent pas que leur fille épouse un pilote qui, pour eux, est « un mort en sursis ». Alors, Saint-Ex démissionne de l’armée et renonce à l’aviation. L’ironie de l’histoire, c’est que la belle Louise le quitte quelques mois plus tard. C’est un coup très dur pour lui et il traverse une période de déprime, enchaînant sans enthousiasme les petits boulots. Il travaille dans les bureaux d’une tuilerie à Paris puis se retrouve à vendre des camions dans la Creuse, avant d’intégrer enfin l’Aéropostale. Toute sa vie, il est resté amoureux de Louise de Vilmorin, même lorsqu’il était marié avec Consuelo avec qui il vivait une relation souvent orageuse. En fin de compte, sa vie amoureuse n’a pas été très heureuse.
Traversées Mauritanides : Que faut-il retenir de Saint-Exupéry, et du Petit Prince qui est une des œuvres les plus lues et traduites ?
Fréderic Coconnier : Vous avez raison de le rappeler, Le Petit Prince, c’est plus de 150 millions d’exemplaires vendus en 75 ans et des traductions dans plus de 300 langues dont, récemment, le hassania. Si je devais retenir une chose de Saint-Exupéry, c’est une phrase du Petit Prince qui résume bien son éthique : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».
Traversées Mauritanides : La connaissance de son œuvre vous donne-elle une appréhension de la Mauritanie ?
Fréderic Coconnier : Quand je me retrouve dans un désert, où qu’il soit sur la planète, je repense souvent à des réflexions qu’a pu se faire Saint-Exupéry dans un tel environnement. Lorsque je vais venir en Mauritanie, ce mois-ci, je n’aurai peut-être pas le temps d’aller me perdre loin dans le désert, puisque je vais donner deux conférences sur l’Aéropostale, à l’invitation de l’Institut Français, à Nouakchott le 14 décembre et à Nouadhibou le 15. Mais j’essaierai d’aller me poser sur une dune isolée et d’écouter les multiples silences du désert que Saint-Exupéry énumère dans Lettre à un otage. Je rêve aussi d’aller à Chinguetti depuis longtemps, depuis que j’ai lu Méharée de Théodore Monod, mais ce sera pour une prochaine fois.
Et puis, vous savez, je ne viens pas en terre inconnue. J’ai eu l’occasion de me rendre en Mauritanie à plusieurs reprises. En 1992, pour couvrir l’élection présidentielle, lorsque j’étais journaliste à Médi 1. Puis, toujours en reportage, pour suivre le rallye aérien Toulouse-Saint Louis du Sénégal. Et en 2006, j’ai tourné un documentaire pour Arte sur l’ouverture du goudron entre Nouakchott et Nouadhibou. À cette occasion, j’avais campé une nuit dans le Parc National du Banc d’Arguin et j’en garde le souvenir d’une nuit magique. Alors, je me réjouis de cette nouvelle visite dans un pays superbe où j’ai rencontré des gens ouverts et qui savent donner du temps aux relations humaines. C’est très « saint-exupéryen » !
Propos recueillis par Bios Diallo