RWANDA, À HAUTEUR DE PLUMES
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RWANDA, À HAUTEUR DE PLUMES

 

                                                                               Par BIOS DIALLO

La route Paris-Kigali est demeurée longtemps parée d’épines. Mais, en mars 2022, des écrivains y ont repris des joutes, avec l’Institut français et des acteurs nationaux. Une réconciliation pavée de lettres dont il était important que Francophonies du monde rendît compte grâce à une autre plume, celle de Bios Diallo, organisateur du festival Traversées Mauritanides (en Mauritanie).  

                                                              À HAUTEUR DE PLUMES 

« Nous venons de loin, dit Aimable Twahirwa, directeur de la lecture au Ministère de la Culture du Rwanda, venu annoncer l’ouverture de la toute première des Rencontres Internationales du Livre Francophone du Rwanda au Centre culturel francophone – qui a rouvert ses portes l’an dernier. Nous retrouver ainsi, en fraternels échanges, est une initiative à saluer.» Avec, dans toutes les mémoires, les drames de 1994, entre Tutsis et Hutus, et les centaines de morts pour lesquelles des responsabilités de la France et de son armée sont indexées...

Parler d’un « peuple toujours debout »

En 1998, avec « Ecrire par devoir de mémoire » placé sous l’égide de l’association Fest’Africa alors implantée à Lille, en France, et dirigée par le Tchadien Nocky Djedanoum et l’Ivoirienne Maïmouna Coulibaly, un groupe d’artistes et écrivains sillonne le « marécage de la folie collective », pour reprendre les mots de Nocky Djedanoum dans son poignant recueil de poésie Nyamirambo ! (Le Figuier – Fest’Africa éditions, 2000).

Au sein de ce collectif, plusieurs personnalités de premier plan telles que l’Ivoirienne Véronique Tadjo, le Tchadien Koulsy Lamko, les Sénégalais Boubacar Boris Diop et Samba Félix Ndiaye (réalisateur), la Burkinabé Monique Ilboudo, le Rwandais Vénuste Kayimahé, le Guinéen Tierno Monénembo et le Djiboutien Abdourahman Waberi. Tous explorent, pendant deux mois, « Les collines [qui] se souviennent ». Et en ressortent retournés, avec des récits qui glacent le sang.

« Aujourd’hui, il ne s’agit pas de revenir sur ces faits, qui avaient indigné l’humanité, tient à préciser l’écrivain congolais Alain Mabanckou, invité prestigieux de ces Rencontres internationales de Kigali. Il s’agit d’impulser une nouvelle dynamique avec un peuple toujours debout. Et montrer que la vie peut se poursuivre autrement, dans la fraternité. » Les nouveaux pèlerins, venus porter la bonne parole à ses côtés s’appellent Sami Tchak (Togo), Ibrahima Aya (Mali), Hemley Boum et Joëlle Epée (Cameroun), Bios Diallo (Mauritanie), Annie Ferret, Régine Hatchondo et Mariane Cosserat (France), Lamia Berrada (Maroc), Sansy Kaba (Guinée), Vincent Montagne (Belgique) et, représentant le pays hôte, Denyse Umuhuza, Chantal Umuraza,  Dominique Celis, Vénuste Kayimahe, Jean-Luc Galabert, Carole Karemera, Jospeh Ndwaniye et Beata Umubyeyi Mairesse, qui ont été les véritables chevilles ouvrières de ce rendez-vous.

Le programme de ces premières Rencontres internationales du livre francophone, qui se sont tenues dans la capitale rwandaise du 1er au 3 mars 2022, a été dense et varié. Il a su allier joutes littéraires, visites en milieu scolaire, ateliers de musique, danse, expositions et projets innovants sous-régionaux. Plusieurs tables rondes ont porté sur le pardon et la transmission à travers des thèmes comme « L’Afrique d’hier et d’aujourd’hui se raconte », « Je vois écrits de là-bas », « Transmissions : le poids des silences, le besoin des mots ». Autant de réflexions sur la mémoire, et comment mettre efficacement celle-ci au service d’un vivre-ensemble.

Transmissions féminines

L’échange sur « Les transmissions féminines » a réuni la Camerounais Hemley Boum, la Française Annie Ferret, la Marocaine Lamia Berrada et les Rwandaises Dominique Celis et Beata Umubyeyi. Mairesse Des archives du Cameroun au cœur du roman Les Maquisards, de Hemley Boum, à Tous tes enfants dispersés (Prix des cinq continents de la francophonie 2020 voir Francophonies du monde n°6, page 25, et la fiche pédagogique du n°8), de Beata Umubyeyi, en passant par Hyènes, d’Annie Ferret, on se livre du plus intime jusqu’à la limite de l’innommable ou de l’indicible. « Aux femmes, on impute les guerres, quand la paix n’est pas là, ou quand les choses vont mal. Or les récits, vos écrits, déconstruisent avec justesse les clichés», a notamment souligné la brillante modératrice Carole Karemera. On dit presque tout, des rapports à la mère, à la grand-mère, à la société simplement : « Une femme ne peut pas durer dans l’enfance. Ma mère me disait : «Trouve ta route, et vite », se souvient Hemley entre le rire et le sérieux. « Aujourd’hui maman, à mon retour, je comprends mieux la portée de tels propos. On doit décider de ce qui nous convient le mieux. Souvent, on se mettra la société à dos, mais si c’est le prix de notre liberté, il ne faudra pas hésiter à le faire ! »  

Au bout de ces trois journées entre littérature, musique et art, les ombres malveillantes ont été repoussées. Un rejet radical des replis ethniques et identitaires. « Pour nous, reconnaît l’écrivaine et philosophe Dominique Celis, ces temps d’échanges ont été un souffle ! Surtout pour nous autres qui vivons ici, cela contribue aux combats que nous menons au quotidien pour la réconciliation des cœurs.»  Oui, des voix sont venues s’ajouter aux leurs, pour un hymne à la paix.

« La manifestation, réalisée en un temps record, a été une réussite, soutient avec enthousiasme Johan-Hilel Hamel, le directeur délégué de l’Institut français, qui l’organisait. Tout a été parfait : les débats littéraires, les performances artistiques et musicales. De plus, la place accordée à l’économie du livre en Afrique, avec onze nationalités représentées, a beaucoup retenu nos préoccupations. Tout cela, nous le devons au dynamisme de ma collègue et attachée de coopération pour le français à l’ambassade Maty N’Gom, à l’initiative de cet événement avec les écrivains Joseph Ndwaniye, Beata Umubyeyi Mairesse et l’actrice culturelle Carole Karemera ». Autant dire qu’on attend avec impatience la seconde édition !   

Bios Diallo

 Source : Francophonies du monde N°10 Juillet-Août 2022