La littérature s’invite à Bassiknou, Mberra et Fassala
L’Unicef et Traversées Mauritanides posent les jalons de rencontres littéraires dans le Hodh El Chargui et au camp des réfugiés de Mberra. Avec le succès d’une 1ère édition qui donne des idées.
La Journée de l’Enfant Africain a été célébrée le 16 juin 2019 sous le thème « l’Action humanitaire en Afrique, les droits de l’enfant d’abord ». Puis, en sous-titre : « Je suis un enfant et j’ai des droits ». L’intitulé rappelle, s’il en est besoin, l’attention à accorder à cette frange de la population. A la faveur de cette célébration, l’Unicef et l’Association Traversées Mauritanides ont innové par des journées littéraires et culturelles dans la Moughataa de Bassiknou, dans le Hodh El Chargui.
Pour cette 1ère édition, en partenariat avec le HCR et d’autres agences des Nations Unies et organisations nationales, les écrivains Bios Diallo, Cheikh Nouh, le slameur et comédien Caméléon ont mené une série d’activités sur l’écriture, le théâtre, la poésie et la danse. Des ateliers tenus du 15 au 19 juin à Bassiknou, Fassala et au Camp des réfugiés maliens de Mberra. Malgré la fin de l’année scolaire, et l’ambiance de la campagne électorale, les élèves ont massivement répondu. Sous la direction des professionnels, ils ont mis en scène leurs quotidiens : les droits de l’enfant, l’exil, le rejet des mariages précoces qui entraînent la déperdition scolaire, la migration et le vivre ensemble à cause de la position stratégique de la région. Le tout à travers des écritures de textes, de dessins et de chorégraphies. Des travaux emprunts d’inspirations qui n’ont rien à envier aux créativités urbaines.
Cheikh Dede Bouya, maire de Fassala, salue l’évènement : « Quand j’ai annoncé la venue d’écrivains, artistes et comédiens, les jeunes ont renoncé à tout ; voyages, programmes familiaux... Oui, car ils tenaient à exprimer leurs motivations de poètes, peintres et écrivains en herbes… Dire aussi qu’ils manquent d’espaces de loisirs ! Ils voient, également en vous, des voix pour transmettre à qui de droit leurs rêves.»
Si à Bassiknou et Fassala les aspirations étaient plus liées à un désir d’épanouissement, au camp de Mberra une donne crée l’émoi : le drame de la terre d’origine. « Quand je suis arrivé dans ce camp, avec mes parents, je n’étais qu’un enfant qui découvrait une terre, un nouveau lieu, dit entre deux souffles Mohamed M. C’est à travers les paroles des adultes que j’ai compris le drame ». Il arrête de parler, et jette un regard sur ses amis dans la classe : « La vérité, que nous avons été arrachés à notre pays, le Mali, à la suite d’affrontements armés. Sur les routes de la fuite beaucoup ont perdu la vie, des familles ont été séparées, déchirées. Mais moi, aujourd’hui, je n’aspire qu’à faire des études utiles et m’ouvrir des horizons heureux. » « Je me destine à faire la médecine, pour soigner et me pencher sur la vie des autres, dans le besoin et l’urgence, poursuit Aicha avec un sourire lumineux qui cache bien des blessures. Car les miens et moi devons notre survie à des gens, de grands cœurs qui ne se sont attardés sur nos origines.»
Dans des textes poétiques, de fictions ou portraits de dessins, les jeunes exposent des récits suintant de vies blessées. La faute à la politique, cette « barbe de caméléon » qui divise. S’ils pleurent de jour comme de nuit sous le vent et la pluie, ces matraqués du destin restent dignes dans la discrétion de leur foi. «Pour beaucoup, l’exil est une étape qu’ils vont surmonter par leur dévouement, dit Wane Cheikhou Chargé de la protection de l’enfant du bureau Unicef de Bassiknou. C’est pourquoi ils s’impliquent énormément, dans ce que font les différents organismes au camp, demandent des opportunités en formations et renforcements de capacités. Leurs aspirations sont fortes.» Taleb Bouya Abdallah, son collègue, : « Pendant la préparation de l’activité, nous avons été surpris par l’engouement des autorités. Parce que nous sommes dans une zone où les jeunes sont loin de tout. Et au cours de ces journées passées entre Bassiknou, en communautés hôtes, Fassala et au camp de Mberra, nous avons découvert des talents. Cela au grand bonheur même du personnel étranger.» « C’est juste ce que dit Taleb, renchérit Bâ Samba de l’ONG Assistance Education (AED) et chef du Programme Educatif Intégré du Hodh Chargui. Le message, une soif chez les jeunes et d’autres, qui manquent d’activités récréatives. En discutant on constate chez certains, jusque dans leurs styles, un « syndrome de la périphérie » à cause de leur éloignement de la capitale et d’autres aires culturelles du pays. Se retrouver, avec des écrivains et artistes nationaux, leur donne le plus culturel dont ils ont besoin, et les éloigne d’influences négatives. D’où le souhait de poursuivre cette brèche que vous venez d’ouvrir. Car les apprentis, aux talents immenses comme vous avez pu le constater, ont juste besoin d’outils et d’encadrements pour leur épanouissement. Et ce, pour le plus grand bonheur des lettres et cultures ! »
Les invités, à cette 1ère édition au Hodh El Chargui, ne cachent pas leurs joies : « Chaque rencontre est une école, dit Caméléon en se lissant la barbe. Nos cœurs et imaginaires ont été conquis. La chaleur humaine, poursuit-il avec humour en repoussant un filet de sueur, nous a fait oublier le soleil sur nos bras ! Avec cette atmosphère, je reviendrai à la première occasion ». Cheikh Nouh corrobore les propos de son homologue : « Oui, il est des haltes qui marquent. Si nous avons transmis nos modestes techniques sur l’écriture et l’art, nous avons aussi beaucoup appris en retour, grâce à cette générosité spontanée dont nous gardons de grands souvenirs.»
Pour Bios Diallo, Président de l’Association Traversées Mauritanides porteuse du projet avec l’Unicef, c’est un défi relevé : « Ces journées littéraires et culturelles ont été riches. Avec un public de fortes diversités, grâce au balisage en amont des équipes de l’Unicef conduites par Zahra Cheikh Malaïnine, Désiré Mohindo, Bonko Kamara, Sy Ismaël et Hiroshi Okamoto qui conduira aussi des ateliers de danse. On a même eu droit à un math de foot, entre organismes intervenants sur le camp de Mberra et les réfugiés qui d’ailleurs ont emporté la partie ! De l’avis de tous, cette 1ère est un succès.» Et pour cause. Dans la foulée, de ces enrichissantes prestations en arabe et en français, des groupes Watsapp et Facebook ont été créés en vue de poursuivre les échanges autour de la littérature, du théâtre, de la poésie, du slam, du dessin… Vivement la 2e édition, que d’aucuns appellent déjà de tous leurs vœux !
Bocar Sow