Idoumou, Le pays recèle des talents littéraires
Professeur de littérature et écrivain, Idoumou Mohamed Lemine Abass est un lecteur passionné de l’aviateur Saint-Exupéry, auteur du mythique récit Le Petit Prince. Avec lui, il partage la passion du désert. Le Secrétaire à l’édition de l’Association des écrivains mauritaniens d’expression française nous entretient des dernières parutions sur la scène littéraire mauritanienne, notamment de l’anthologie poétique Entre ciel et sable, un travail fait par des professeurs du Lycée français Théodore Monod de Nouakchott et qui regroupe 16 poètes d’expression française, et de Nouvelles Mauritaniennes, un florilège des Editions Joussours/Ponts, pour les participants au concours de la nouvelle francophone en Mauritanie . Des actualités qui ouvrent de nouveaux champs.
Traversées Mauritanides : L’année littéraire en Mauritanie semble bien s’achever, et pour cause. Deux publications au seul mois de décembre : Entre ciel et sable, Anthologie de poésie mauritanienne d’expression française et Nouvelles mauritaniennes…
Idoumou Mohamed Lemine Abass : Oui, comme elle avait d’ailleurs bien commencé, avec la parution de deux numéros de la revue Souffles Sahariens, de Bottary N’Gaary Dutal, Education de type spartiate de Diouldé Ndiaye Dieng et de Divagations d’un chameau de Melainine Khaled. Ces ouvrages et d’autres en cours d’édition, ont vu le jour grâce au soutien de l’Association des Ecrivains Mauritaniens d’Expression Française, du SCAC (Ambassade de France) et d’autres mécènes dont la BNM, Tasiast Mauritanie…
Traversées Mauritanides : Qu’est-ce qui fait la singularité de ces ouvrages ?
Idoumou Mohamed Lemine Abass : La singularité de ces publications réside d’abord dans le fait même qu’elles aient vu le jour, dans un contexte éditorial très difficile, où peu de manuscrits mauritaniens trouvent le chemin de l’édition et peu de talents l’occasion de s’exprimer. La parution des œuvres en question dénote du dynamisme insufflé à l’AEMEF par son bureau actuel, et surtout par son président, Mohamed Ould Bouleiba, qui mène un grand travail d’encouragement de l’édition d’œuvres et d’auteurs mauritaniens.
Traversées Mauritanides : On sait aussi votre passion pour l’écrivain et aviateur français Antoine Saint-Exupéry. Vous rentrez d’ailleurs de Nouadhibou où vous avez parlé de l’auteur du Terre des hommes…
Idoumou Mohamed Lemine Abass : Oui. J’ai eu le plaisir de co-animer une conférence sur lui avec Frédéric Coconnier, auteur d’un bel ouvrage sur l’aviateur Saint-Exupéry, une aventure marocaine, que j’ai lu avec délectation sur le chemin du retour à Nouakchott.
Traversées Mauritanides : Que représente Saint-Exupéry pour vous ?
Idoumou Mohamed Lemine Abass : C’est un auteur que j’aime et admire…Pour toutes ses œuvres et particulièrement pour Le petit prince, le plus beau conte pour enfants des temps modernes ; qui s’adresse plus aux adultes, en réalité, par sa dimension poétique et philosophique. J’ai découvert Saint-Exupéry à bas âge, dix ans je crois, en répétant le fameux « Dessine-moi un mouton ! » ou encore : « On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux. » Plus tard j’ai eu à lire les œuvres de l’auteur de Citadelle et de Terre des hommes dans le cadre de mes études secondaires et supérieures ; j’ai eu à les analyser, à en commenter des extraits et disserter sur des citations, à découvrir la place que le désert en général et le désert mauritanien en particulier occupent dans l’imaginaire de l’aviateur écrivain. Saint-Exupéry, c’est aussi, pour moi, le Centre Culturel Français du temps de Marie-Françoise de la Rosière ; l’un des lieux où la culture était le plus présente et le plus honorée à Nouakchott.
Traversées Mauritanides : C’est donc, pour vous, d’abord l’auteur qui révèle la Mauritanie ?
Idoumou Mohamed Lemine Abass : C’est un écrivain que j’ai beaucoup lu, que j’aime. Qu’il parle de la Mauritanie, beaucoup et si bellement, cela en fait sans doute l’écrivain français le plus proche du cœur des Mauritaniens.
Traversées Mauritanides : Quelles étapes importent, pour vous : son écriture ou sa description de la société maure ?
Idoumou Mohamed Lemine Abass : Etapes ? Vous voulez dire qu’est-ce qui m’intéresse le plus ? C’est l’œuvre dans sa globalité, son écriture, sa poésie, son imaginaire, les thèmes qu’elle aborde…J’aime aussi de nombreux autres écrivains qui n’ont pas parlé de la société maure, et dont certains n’ont jamais entendu parler d’elle. C’est d’abord la littérature qui m’attire chez l’écrivain ; je veux dire chez tout écrivain.
Traversées Mauritanides : Le désert aussi ! Et quelle conception a-t-il de celui-ci ?
Idoumou Mohamed Lemine Abass : Ah oui Saint-Exupéry a un grand amour du désert, ce que je partage avec lui. L’œuvre de Saint-Exupéry est habitée par le désert : Courrier du Sud, Le Petit prince, Citadelle, Terre des hommes… nombre de ses écrits sont inspirés, entièrement ou en partie, par son expérience du désert et son contact avec les hommes du désert ; évoquent ses traversées aériennes du pays de sables et des grands espaces, son séjour au Sahara lorsqu’il dirigeait l’escale de l’Aérospatiale à Cap Juby, en 1938. Il a résumé lui-même sa conception du désert dans cet extrait du Petit prince : «J'ai toujours aimé le désert. On s'assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n'entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence... »
Traversées Mauritanides : Parmi les nombreuses traductions du « Petit Prince », il existe une version en hassaniya. Est-ce une réappropriation de l’œuvre…
Idoumou Mohamed Lemine Abass : Je n’aime pas le mot « réappropriation », qui sent l’antagonisme et la rivalité autour de la culture. Saint-Exupéry n’a rien « usurpé » à notre Sahara en s’en inspirant pour écrire une œuvre monumentale et…universelle. Le Petit prince est l’un des livres les plus traduits dans le monde, peut-être même le plus traduit de tous. Son auteur a juste compris le sens profond et la poésie de notre espace de vie ; la vérité d’hommes des nôtres, leurs qualités intrinsèques et leurs valeurs…Il a su en tirer une œuvre humaine, enjambant nombre de préjugés et de contresens de son temps. Traduire Le Petit prince en hassaniya, ou en arabe, c’est comme le traduire dans n’importe quelle autre langue ; c’est permettre aux locuteurs de ces langues d’avoir accès à un livre qui les concerne en tant qu’hommes et qui plus est dont l’inspiration est venue de leur pays et de leurs ascendants ; c’est, pour nous mauritaniens, faire hommage à un auteur français qui a eu pour notre société un regard ayant passé beaucoup de préjugés et de clichés colonialistes.
Traversées Mauritanides : Sans doute qu’on parle beaucoup du Petit Prince et de Terres des hommes, mais quels autres écrits vous ont marqué dans son œuvre ?
Idoumou Mohamed Lemine Abass : Antoine de Saint-Exupéry a laissé une œuvre nombreuse et variée, dont Courrier du Sud, un roman paru en 1930, où il parle d’un vol entre Toulouse et Dakar, Vol de nuit, paru en 1931, qui parle d’un autre vol, cette fois en Amérique du Sud, Pilote de guerre, qu’il a écrit en 1942 alors qu’il était en exil en Amérique, etc. Il a laissé aussi un tapuscrit intitulé « Souvenirs de Mauritanie », qui date de 1934 et a servi, avec d’autres textes, à la composition de Terre des hommes. Il y parle de Port-Etienne (Nouadhibou actuel) et annonce, en même temps que son recul inexorable face à la puissance des envahisseurs, la résistance éternelle de la civilisation nomade à l’oubli : «Les empires s’enfoncent dans le sable. Une civilisation efface l’autre. Les peuples conquis s’assimilent. Mais longtemps encore, un signe, un geste, une réplique ressuscitent dans l’homme nouveau l’homme d’autrefois, comme un bas relief exhumé témoigne du temple mort… »
Traversées Mauritanides : Comment, selon vous, entretenir et développer cette verve et création littéraire ?
Idoumou Mohamed Lemine Abass : Vous voulez dire l’activité littéraire que connait actuellement la scène mauritanienne ? Je crois qu’il faut encourager d’abord l’édition ; permettre aux nombreux manuscrits qui dorment dans les tiroirs d’être publiés et à leurs auteurs d’accéder à la consécration. Ensuite, il faut encourager l’écriture, oui. Les talents ont besoin d’être encouragés, par un statut incitatif de l’écrivain, de la considération, des prix…Je me félicite, à ce sujet, de l’organisation par le SCAC, en collaboration avec plusieurs partenaires mauritaniens (L’AEMEF, l’Association Mauritanienne pour la Francophonie, l’Université, de nombreux lycées, etc…) d’un concours de la nouvelle francophone. La première édition de ce concours (Mars 2018) a révélé de vrais talents parmi nos lycéens. Il faut également stimuler la lecture, en mettant le livre mauritanien à la disposition des lecteurs à des prix abordables, en l’inscrivant au programme des collèges et lycées, en organisant des rencontres littéraires comme vous le faites depuis des années maintenant à Traversées Mauritanides… Notre pays recèle de grands talents littéraires, et il gagnerait beaucoup à leur permettre de s’exprimer et les faire connaître au plan national d’abord, et international ensuite, où nos écrivains et hommes de culture peuvent être de bien meilleurs ambassadeurs que beaucoup de diplomates et de chancelleries.
Propos recueillis par Bios Diallo