Beyrouk, tambour d'amour
Professeur de français au lycée Arafat 1 de Nouakchott, Ousmane Wade livre sa livre sa lecture du roman Le Tambour des Larmes (Ed Elyzad, 2015) de Beyrouk couronné par le Prix Kourouma 2016.
Le Tambour des Larmes de Beyrouk est un de ces ouvrages dont la lecture vous laisse un arrière-goût à la fois âcre et suave. Pour preuve : l’histoire pathétique de Rayhana, une jouvencelle du désert qui se laisse prendre dans les rets du discours ensorceleur de Yahya, ingénieur de son état, sacré bonimenteur devant l’Eternel. Ce dernier, dans le cadre d’une mission, va s’installer provisoirement avec son équipe non loin du campement des Oulad Mahmoud, la fière tribu de Rayhana. Le Don Juan des sables va abuser de la naïveté et de la candeur de la jeune fille avant de disparaître lâchement.
Devenue enceinte, Rayhana va s’attirer les foudres de sa mère qui use de subterfuges pour la faire accoucher loin de leur bled, avant de subtiliser l’enfant. Une fois de retour au campement, la mère contraint sa fille à se marier avec Memed, un jeune homme de sa tribu. Histoire de sauver la face, d’éviter l’opprobre, car chez les Oulad Mahmoud, on ne transige pas sur l’honneur. Mais Rayhana se rebiffe et décide de s’enfuir en emportant avec elle le « rezzam », le tambour sacré de la tribu. Geste éminemment symbolique dans la mesure où c’est l’emblème du pouvoir qui a été arraché, c’est l’autorité irréfragable de la tribu qui a été foulée aux pieds.
Sur son chemin d’évasion, Rayhana va croiser une âme charitable en la personne de Rahma qui, en compagnie de son mari, Mahmoud, va lui offrir le gîte et le couvert. Cependant, ce dernier ne tarde pas à se muer en satyre, car il tente en vain de porter atteinte à l’honneur de Rayhana dont la vie prend désormais l’allure d’une odyssée. Fort heureusement, d’autres adjuvants se mettront sur sa route pour la soutenir et la réconforter, à l’instar de Mbarka, l’esclave affranchie, et de Hama, l’homosexuel dégourdi, qui ont élu domicile à Atar. Le dernier va l’accompagner à Nouakchott pour l’installer chez sa sœur et la confier à son neveu Abdou, un étudiant en droit et journalisme, qui lui servira de guide dans le cadre de sa quête désespérée pour retrouver son fils Marvoud, « le rejeté ». Le jeune homme montrera trop de zèle et finira par tomber dans le machiavélique traquenard tendu par les membres vindicatifs de la puissante tribu des Oulad Mahmoud. Du coup, Abdou sera jeté en prison et Rayhana traquée comme une bête. Elle devient un fétu de paille au cœur d’une bourrasque.
Dans un ultime geste de dépit, Rayhana brûle solennellement le totem de la tribu et fait un autodafé des livres de droit de l’étudiant. Par cet acte, elle rompt définitivement les amarres avec les siens et affiche ostensiblement son mépris vis-à-vis de toute autorité tyrannique. In fine, l’éventail des thèmes est on ne peut plus éclectique : cela va de l’esclavage à la corruption, en passant par le tribalisme, le poids des traditions, les passe-droits, les inégalités sociales, le mariage forcé, la pauvreté, le libertinage, la prostitution…
Le tout conduit par un style brillant, flamboyant, de l’auteur. Au détour de chaque page, les images fusent comme une éclosion d’étoiles. Les métaphores giclent comme des sources dans le désert. Parfois le rythme doux de la phrase mime le balancement du palanquin d’une jeune mariée. Parfois aussi, les accents deviennent rudes, revêches, comme des rafales de vent au milieu des ergs. Quelquefois, le ton se fait résolument mélancolique comme le blatèrement du chameau en plein Sahara. En somme, la poésie est à fleur de mot. Une poésie âpre, puissante, exquise. L’univers « beyroukien » est d’un charme époustouflant ! Rappelons, pour finir, que ce très beau roman a été couronné par le Prix Kourouma 2016.
Ousmane Wade
Professeur de français au lycée Arafat 1, Nouakchott