Ly Djibril Hamet, Engagement pour quoi faire?
Connecter S'inscrire

Ly Djibril Hamet, Engagement pour quoi faire?

Rencontres Euromaghrébines de littérature
2e édition, Tunis, du 27 au 29 novembre 2014
Ly Djibril Hamet 
Engagement pour quoi faire?
Ce que nous voyons tous les jours, ce que nous entendons, les personnes avec lesquelles nous commerçons, les évènements  que nous vivons ou dont nous sommes témoins, impriment notre mode de pensée. Rien ne nous laisse indifférents. L’environnement dans lequel nous baignons nous conditionne. Tout nous interpelle.
Nous répondons en conséquence de manière consciente ou inconsciente, vive ou molle. Nous nous exprimons par le corps, par le verbe ou par l’écrit. Et lorsque nous sommes portés à l’écriture, c’est par la plume que nous réagissons. Par devoir de mémoire. Pour attirer l’attention. Pour infléchir des changements allant dans le sens de notre ressenti, de notre vision et de nos souhaits. Nous, mémoires vivantes et agissantes des temps présents, pour la transformation des temps à venir. Grâce à la force magique des mots. Des mots qui permettent de diagnostiquer les maux. Des mots qui permettent de guérir les maux.
Ainsi donc, je m’aventure progressivement dans différents genres littéraires qui sont autant de moyens d’expression: la poésie et le  théâtre, la nouvelle et le roman, la chanson et le conte, l’essai et autres véhicules de l’écrit.
Mon engagement littéraire remonte au jeune âge. Au collège déjà, puis à l’Ecole Normale d’Instituteurs, je militais. Et, jeune enseignant, à la fin des années 60, je m’engageai dans un parti politique clandestin d’obédience marxiste. Tracts, dazibao, graffiti, manifestations, ponctuent alors la vie militante et façonne les modes de penser et d’agir de la jeunesse. Mais aussi poésie et chants patriotiques, pièces théâtrales dénonçant des pratiques peu conformes aux aspirations du peuple mauritanien et à l’indépendance réelle de la Mauritanie. Je me suis abreuvé à cette source.
Le flambeau, périodique de mon parti dont j’étais un des principaux responsables (le périodique), paraissait, en plus du français, en langues nationales pulaar, sooninke et wolof. C’était à oser à l’époque, aucun esprit n’y étant réellement préparé!
Permettez-moi, afin de mieux camper le thème de ma communication, «L’engagement, pour quoi faire» (j’ai sciemment choisi cette orthographe), de partager avec vous mon vécu d’engagement qui justifie mon écriture qui appelle des changements  de trois ordres: environnemental,  socioculturel, sociopolitique.

Engagement pour la protection de l’environnement
Il me semble opportun de signaler, pour cet engagement, que je préside le Réseau d’Adaptation au Climat Côtier pour l’Afrique de l’Ouest (RACCAO) qui regroupe cinq pays: Cap Vert, Gambie, Guinée Bissau, Mauritanie et Sénégal, et «Au secours de nos côtes», le réseau national des acteurs à la base pour l’Adaptation aux changements climatiques côtiers.
La Mauritanie, vaste pays sahélosaharien, continue de perdre à grande vitesse sa faune et sa flore. Du fait, certes, des changements climatiques, mais également des comportements irresponsables des hommes par trop attirés par le gain de biens matériels (coupe de bois pour la vente de charbon ou autres usages abusifs) et d’une politique de gestion étatique qui ne montre jusqu’ici aucune efficacité probante. Par ailleurs, le phénomène des changements climatiques côtiers vient se conjuguer avec la déforestation et la désertification et assombrir davantage ce tableau déjà si peu reluisant.
L’éducation citoyenne  des adultes actuels et des femmes et hommes en devenir, est pour ainsi dire absente du système éducatif. L’école ne prépare que très mal l’adulte de demain dans ce sens.
J’écris pour dire non à cela. Pour dire qu’il faut changer. Pour le bonheur de tous!
Engagement pour les droits socioculturels
Pour cet engagement, il me semble utile de savoir que je suis Vice-président de l’association nationale «Empreintes Culturelles» qui œuvre pour la multiculturalité, l’épanouissement inclusif et complémentaire de toutes les cultures de la Mauritanie (elle est, à ce titre, représentative de toutes les cultures du pays); et je préside par ailleurs l’association littéraire pulaar «Konngol e Binndol» (Parole et Ecrit). Je suis également vice-président de l’ONG Forum pour la Refondation du système éducatif (FORSE) et membre du bureau national de Tapital Pulaagu International (TPI Association internationale des peuls et amis de la culture peule).
La Mauritanie est un pays multiculturel. Sa constitution reconnaît quatre langues nationales: l’arabe, le pulaar, le sooninke et le wolof. C’est un progrès notable par rapport aux anciennes dispositions de la loi fondamentale. Cependant, seul l’arabe est réellement reconnu, présent dans la vie administrative, politique et éducative.
Pendant six ans j’ai eu le redoutable privilège de piloter de l’expérimentation de l’enseignement des et en langues nationales pulaar, sooninke, wolof, comme langues maternelles, puis de ces dernières et de l’arabe comme langues secondes, de manière croisée, dans des classes expérimentales. Je n’ai cessé mes fonctions que lorsque la police d’Etat est venue me prendre au travail avec les suites que j’évoque dans la troisième partie de la présente communication.
Cette expérimentation de l’enseignement des et en langues maternelles, pourtant jugée probante par toutes les évaluations faites (dont une de l’Unesco), a été stoppée et l’Institut des Langues Nationales qui la portait supprimé. Pourquoi ? Allez savoir et expliquer…
L’utilisation des langues maternelles à l’école permettait pourtant de démocratiser l’enseignement en donnant des chances égales à tous les petits Mauritaniens. Elle avait d’autres avantages certains: c’était d’abord la reconnaissance d’un droit. En outre, elle participait au rapprochement des fils du pays au stade précoce.  Elle rendait aussi efficients les apprentissages et, ainsi, préparait mieux les futurs adultes à participer au développement de leur pays dans la concorde la plus harmonieuse.
La mise en arrêt de l’enseignement des et en langues nationales et de l’Institut qui en était chargé a été un signal fort des forces occultes, encore, aujourd’hui, très puissantes et très méthodiques.
Le système éducatif mauritanien, outre ses autres tares (analphabétisme criant, échecs scolaires, déscolarisation…) est inique en ce sens qu’une partie des enfants scolarisés apprennent dans leur langue maternelle et les autres dans des langues différentes de celles de leurs cultures et de leurs pratiques communicationnelles quotidiennes. Ce fait est périlleux à terme pour le pays.
J’écris pour dire non à cela. Pour dire qu’il faut changer. Pour le bonheur de tous!
Au niveau des media, les langues nationales autres que l’arabe sont pour ainsi si dire inaudibles et les cultures qu’elles véhiculent pratiquement invisibles. Un seul journal et un site dans une de ces langues, le pulaar, qui peinent à s’imposer.
Aucune autorisation de radio ou de TV à des opérateurs Mauritaniens des cultures pulaar, sooninke ou wolof.
Tout est fait pour présenter une Mauritanie monoculturelle, monoraciale, monoculaire. Les Mauritaniens, dès le plus jeune âge, sont formatés pour accepter cet état de fait; à travers ce qu’ils voient, à travers ce qu’ils entendent, dans tous les lieux où s’exprime la culture. Ils grandissent ainsi.
De l’extérieur, il paraît naturel de voir cette Mauritanie-là, telle qu’elle est sciemment présentée.
Stratégie à plus d’un titre réussie. Mais stratégie on ne peut plus suicidaire à terme.
L’administration, la fonction publique, la justice, l’armée nationale, la police, elles, vont de plus en plus à une seule communauté, les autres en disparaissant à vue d’œil, s’estompant de manière rapide et sûre. Il en va ainsi de tous les rouages de l’Etat, du secteur économique et financier. Il en va ainsi de l’occupation de l’espace.
J’écris pour dire non à cela. Pour dire qu’il faut changer. Pour le bonheur de tous!
Les droits de l’enfant et de la femme font verser beaucoup d’encre et de salive à travers le monde.
Et pourtant, la Charte du Manden dite Charte du Kurukan Fugan, en 1236, c’est-à-rire plus de sept cents ans avant celles des Nations Unies sur l’Enfant et sur la Femme, avait légiféré. Elle disait, notamment :
Article 9: L’éducation des enfants incombe à tous. La puissance paternelle appartient en conséquence à tous.
Article 11: Quand votre femme ou votre enfant fuit, ne le poursuivez pas chez le voisin.
Article 14: N’offensez jamais les femmes, nos mères.
Article 16: Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements.
Les problèmes des droits de la femme et de la parité étaient déjà en partie réglés. Par des Africains. Sept siècles avant l’Occident.
Les Nations Unies reconnaissent désormais que la Charte du Kurukan Fuga, charte africaine, est la première sur les droits humains.
Aujourd’hui encore, l’enfant et la femme peinent à jouir de leurs pleins droits: problèmes de bonne éducation permettant l’épanouissement de ses facultés et potentialité basiques, de mariages précoces ou forcés, de viols et violences en récurrence, d’implication réelle dans la vie politique et publique et j’en passe.
J’écris pour dire non à cela. Pour dire qu’il faut changer. Pour le bonheur de tous!
Engagement pour les droits sociopolitiques
Ce dernier engagement explique davantage que je sois Président de PEN Mauritanie.
Présentement, l’esclavage est un problème qui se discute (pour ne pas dire se dispute) avec acuité en Mauritanie.
Et pourtant, la Charte citée plus haut en avait pleine conscience. Elle décidait:
Article 5: Chacun a droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. En conséquence, toute tentation d’enlever la vie à son prochain est punie de la peine de mort.
Article 20: Ne maltraitez pas vos esclaves, accordez leur un jour de repos par semaine et faites en sorte qu’ils cessent le travail à des heures raisonnables. On est maître de l’esclave e non du sac qu’il porte.
L’esclave avait donc un droit de propriété.
La faim n’est pas une bonne chose.
L’esclave n’est pas non plus une bonne chose. Il  n’y a pas pire calamité que ces deux choses dans le monde.
Tant que nous disposerons du carquois et de l’arc, la faim ne tuera personne dans le Mande. La guerre ne tuera plus jamais dans le village pour y prélever des esclaves.
L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour d’un mur à l’autre, d’une frontière à l’autre du Mande.
L’Almamiat, la république théocratique du Fuuta Tooro, quant à elle, avait purement et simplement banni l’esclavage de manière fort explicite. Même si cette loi a été dévouée par la suite, dans la pratique. C’était en en 1776. Donc avant l’abolition par l’Occident.
Et pourtant, en ce XXIème siècle encore, il persiste dans mon pays. La société a du mal à se défaire de cet infamant fardeau. Mentalement et physiquement, économiquement et juridiquement. Et ceux qui nous gouvernent ont du mal à prendre les dispositions adéquates radicales de son éradication réelle et définitive, les lobbyings étant très puissants qui tirent vers le bas et vers l’arrière.
Et ceux qui subissent, les victimes de cet esclavage, s’impatientent et réagissent avec véhémence et détermination. La Mauritanie est assise sur une poudrière!
J’écris pour dire non à cela. Pour dire qu’il faut changer. Pour le bonheur de tous!
Ce qu’on l’on appelle pudiquement passif humanitaire en Mauritanie et qui est une somme de crimes et diverses forfaitures, un racisme d’Etat, vicie et gangrène la vie du pays. Nombre de militants des droits humains réclament avec insistance, des journées nationales d’échanges réels et profonds sur les années de braise afin de dégager la vérité et de réconcilier le peuple mauritanien avec lui-même.
En 1986, des camarades et moi-même, avons rédigé un manifeste qui dénonçait les maux évoqués plus haut et proposait des solutions concertées. Pour cela j’ai connu 4 ans de prison dont la partie la plus dure était le bagne d’Oualata. Avec mes camarades. Nous avons souffert dans notre chair. Quatre d’entre nous y sont définitivement restés dont une de nos meilleures plumes, un ancien ministre et deux officiers.
En 1987, à l’issue d’une parodie de procès, des militaires noirs accusés d’avoir voulu tenter de prendre le pouvoir par la force, sont sévèrement condamnés. Trois d’entre eux ont été passés rapidement par les armes, contre toute logique et à la désapprobation totale de tous les défenseurs de droits humains.
Mais le pire était à venir: 1989-1991. Des massacres aveugles, des viols, des expropriations, des spoliations des terres, des expulsions de leur patrie de  milliers de citoyens qui avaient commis, pour seul crime, d’appartenir à la mauvaise communauté rétive et frondeuse. Une communauté qui a osé élever le ton,  dire non. Des arrestations, des exécutions sommaires, extrajudiciaires. Un nettoyage ethnique méthodique. Des fosses communes dont les occupants réclament encore de nos jours des sépultures dignes afin que les veuves et orphelins puissent faire leur deuil.
Les victimes et tous ceux qui luttent à leurs côtés, réclament que toute la lumière soit faite. Que les coupables soient identifiés, traduits en justice et que soient rétablis dans leurs droits les victimes et/ou les rescapés et les ayants-droit.
Au lieu de cela, le régime sous lequel ces forfaits ont été commis à fait voter par le parlement une loi d’amnistie. Une loi d’autoamnistie! Et tous les régimes qui se succèdent depuis sont restés silencieux sur la question.
Il y a certes eu des journées de concertation. Sans suite. D’autres saupoudrages également, fortement médiatisés. Pour exorciser, dirait-on. Certes aussi, des réfugiés au Sénégal et au Mali sont revenus au pays, mais ne sont jamais rentrés dans leurs droits, n’ont même pas eu droit à des actes d’état civil, ont été misérablement cantonnés dans des sites, en véritables apatrides, dans leur propre patrie. Une diaspora qui ne dit pas son nom.
L’Etat mauritanien se doit de s’inscrire dans une logique de justice transitionnelle.
Ce sont là des priorités que devrait se fixer tout régime clairvoyant.
Demain, 28 novembre, est l’anniversaire de l’indépendance de la Mauritanie. A l’aube de ce jour anniversaire, en l’an 1990, à Inal, une caserne, 28 militaires négro-mauritaniens ont été humiliés puis symboliquement et sadiquement pendus par leurs frères (?) d’armes et geôliers. 28! Ces pendaisons ont duré un temps insoutenable d’acharnement euphorique de ses commanditaires et exécutants!
Le 28 novembre qui devait être une journée de fierté, de réjouissance est pour moi, pour nombre de militants, une journée de honte et de frustration. Une journée de deuil!
Oui! Les auteurs de ces exactions, aujourd’hui encore, narguent, insultent les citoyens mauritaniens. Certains occupent de hautes fonctions étatiques Ils sont militaires. Des officiers supérieurs. Du moins, les principaux responsables.
J’écris pour dire non à cela. Pour réclamer justice au nom de tous les Mauritaniens. Car les Mauritaniens ne sont pas tous d’accord sur ces barbaries, même ceux desquels sont issus les auteurs de cette forfaiture.
J’écris pour dire de changer les pratiques négatives.
J’écris pour dire d’adopter des pratiques positives, la culture de la citoyenneté, de la bonne gouvernance, la bonne distribution de la justice, seules véritables garanties de la paix sociale et de la concorde nationale sans lesquelles il est impossible de se développer.
Mon objectif, à travers cette communication était plus de partager avec vous mon expérience d’écriture, à partir de mon vécu, de donner des éclairages, à partir de mon environnement écologique, socioculturel et sociopolitique. De tenter de répondre à la question: «L’engagement littéraire pour quoi faire?».
La somme des réponses que proposeront les différents intervenants à travers les communications et les discussions donnera, j’en suis sûr, le panorama le plus complet et le tableau le plus parlant et le plus instructif.
Je vous propose, pour finir ce propos les deux poèmes ci-dessous que j’ai déclamés ailleurs, à des moments qui s’apparentent à celui-ci.
Le premier: OSER
Oser   oser
Oser   regarder   et voir
Écouter   et entendre
Cogiter   et comprendre
Aimer   être aimé
Choisir   agir
Lutter   vaincre
Ose!
Mais aussi, cet autre poème: AGIR
Le soleil se lève se couche La terre tourne retourne
Les choses bougent mais restent en place ou restent en place mais bougent
Dans les têtes ça bouge ça tourne
Certains yeux voient le chemin le contournent
Des esprits du bien se détournent d’autres vers le bien se tournent
Les langues aussi tournent sept fois tournent
Où sommes-nous? Que faisons-nous? Que deviendrons-nous?
Agir
et ne pas perdre de temps car  la vie est de temps
Agir
pendant qu’il est temps en même temps
Agir
vite tous pour le bien de tous.

Source : http://litteratureetengagement.com