Monique Ilboudo, s'indigner face à tout drame humain
Première romancière burkinabè, femme politique de premier plan, Monique Ilboudo est de tous les combats, notamment en faveur des femmes. En 1998, elle participe au projet Rwanda, écrire par devoir de mémoire, initié par le festival Fest’Africa, dont elle tirera Murekatete, un récit à la première personne sur le génocide. Un temps éloignée de la scène littéraire, l’autrice y est de retour avec la même sincérité, la même intégrité. Son nouveau roman, Si loin de ma vie, traite de l’immigration, de l’homosexualité et d’autres luttes. Entretien avec une femme de conviction.
« NOUS DEVONS NOUS INDIGNER FACE À TOUT DRAME HUMAIN »
Près de vingt ans sépare Si loin de ma vie de votre dernier roman, Murekatete… Pourquoi une aussi longue absence ?
Monique Ilboudo : J’ai été appelée à des fonctions officielles, j’ai été ministre puis ambassadrice, et le temps manquait… Je suis heureuse de retrouver le cercle des écrivaines.
Quelles leçons avez-vous tirées de vos expériences politiques ?
Des leçons de vie ! Toute expérience vous grandit intellectuellement et spirituellement, pour peu qu’on soit sincère avec soi et les autres. J’ai beaucoup appris sur moi-même, sur l’humain, sur les relations entre États, sur énormément de choses en fait. J’ai surtout appris à saisir, à sérier l’essentiel dans la vie. S’agissant de mes missions, je crois avoir fait oeuvre utile. J’ai fait en tout cas de mon mieux.
L’homosexualité est au coeur de votre dernier livre. Quel regard portez-vous sur ce sujet encore tabou au Burkina ?
En effet, c’est un sujet encore tabou dans mon pays. Plus largement en Afrique, et dans beaucoup de pays du monde. Mais c’est une question qui concerne des êtres humains et elle ne peut donc être passée sous silence. On ne peut prétendre défendre les droits humains et occulter ceux d’une partie de citoyennes et citoyens.
Autre sujet central du roman, et tout aussi problématique, l’immigration…
En effet. Mon opinion est que nous sommes tous des migrants. Que la Déclaration universelle des droits de l’homme proclame la liberté de circuler mais qu’en réalité seule une partie de l’humanité peut exercer cette liberté d’aller et venir. Les jeunes Africains et Africaines, par exemple, sont assignés à résidence. Et ce n’est pas juste.
Pourquoi avez-vous lié les deux ?
C’est la question de l’émigration des jeunes africains qui m’a d’abord interpellée. Toutes ces images, ces récits de naufrages, de violences, de désespoir… me taraudaient depuis un moment. Quand j’ai pris la plume, l’histoire de mon héros, « Jeanphi », s’est peu à peu imposée.
« La création est d’abord un lieu de liberté. Il ne saurait être question d’imposer une mission à l’écrivain. S’engager, c’est avant tout refuser de rester indifférent à ce qui se passe autour de nous »
L’identité est au coeur de votre écriture. C’est une histoire du Burkina ?
Du Burkina, de l’Afrique. La quête de soi est un des grands défis de la vie, enfin je crois.
Comment vous définissez-vous : écrivaine engagée ou femme militante ?
Je suis une femme, pas de doute là-dessus… Écrivaine ? Oui, puisque j’ai publié quelques livres. Pour le reste, ce sont des qualificatifs qu’il vaut mieux laisser les autres apposer. Je sais seulement que j’essaie de défendre certaines convictions avec les moyens dont je dispose, la plume notamment.
Vous faites partie d’une génération qui avait la possibilité de s’installer en France, et ailleurs, après ses études. Mais vous êtes revenue chez vous. Conseillerez-vous la même chose aujourd’hui à d’autres ?
Que ce soit à cette époque ou aujourd’hui, je suis pour le respect de la liberté de chacun, de chacune. Il y a des Africains de l’extérieur plus utiles à leur pays, à leur continent, que d’autres qui sont rentrés mais s’engagent très peu dans leur société.
Vous avez eu de hautes responsabilités politiques. Diriez-vous que les écrivains, intellectuels ou journalistes, mènent de justes combats ?
Vous évoquez trois profils différents, même si parfois ils peuvent se rencontrer chez un même individu. Un écrivain n’est pas forcément un intellectuel, pas plus qu’un journaliste. Historiquement, l’intellectuel est synonyme de citoyen engagé pour un combat éthique dans la société. En Afrique, comme ailleurs, les intellectuels se battent, parfois au prix de leur vie, pour des causes qu’ils ou elles estiment justes. Je salue et respecte ces combattantes et combattants qui ont apporté des changements positifs dans nos pays. Aujourd’hui, cet engagement citoyen n’est plus le seul fait des écrivains ou des journalistes. L’émergence de la société civile a entraîné un plus grand nombre de citoyennes et de citoyens à s’impliquer dans le débat politique et social. Mais elle a parfois un peu brouillé la scène, puisque certains leaders de cette société civile s’avèrent souvent très partisans.
En occupant les fonctions politiques qui furent les vôtres, on perd sa liberté de s’indigner, non ?
Il ne faut pas croire ça, surtout pour une mission comme celle qui m’avait été confiée : promouvoir les droits humains, la citoyenneté. J’ai essayé de mener cette mission avec le plus de sincérité, le plus d’intégrité, le plus de compétence dont j’étais capable. Mais je conviens avec vous qu’on avale au passage quelques couleuvres, qu’on réalise vite les limites de l’influence de son action sur le cours des choses et… qu’on est certainement moins libre !
Pensez-vous écrire sur le terrorisme, la guerre… ?
Que dire ? L’inspiration est si imprévisible !
La littérature burkinabè avait connu ses lettres de noblesse, mais elle semble peu audible désormais…
Les voix voltaïques hier ou burkinabè aujourd’hui sont moins audibles que celles d’autres pays africains : Sénégal, Côte d’Ivoire, Congo, sans compter les pays anglophones. Certaines voix du Burkina ont cependant transcendé les frontières et les mentalités : Nazi Boni, l’historien Joseph Ki-Zerbo, Maître Pacéré, Patrick Ilboudo… Les voix féminines sont intervenues plus tardivement. Et de jeunes auteurs et autrices sont de plus en plus reconnus.
En 1998 vous avez participé au projet Rwanda, écrire par devoir de mémoire. Aujourd’hui, la « bande sahélo-saharienne », du Tchad à la Mauritanie, est confrontée à des mouvements djihadistes et des conflits ethniques. Avec un appel à la France comme gendarme. Cette situation vous interroge-t-elle ? Et dans quelle mesure vous engage-t-elle ?
Je vis dans cette partie du monde, le Sahel, et c’est donc peu dire que je me sens concernée. Nous devons nous indigner face à tout drame humain sur cette planète. Et, en Afrique, nos voix, nos plumes sont plus qu’utiles et très attendues. Cela dit, la création est d’abord un lieu de liberté. Il ne saurait être question d’imposer une mission à l’écrivain. S’engager, c’est avant tout refuser de rester indifférent à ce qui se passe autour de nous.
Propos recueillis par Bios Diallo
MONIQUE ILBOUDO EN 8 DATES
1959 : Naissance à Ouagadougou
1991 : Doctorat en droit privé obtenu en France
1992 : Enseigne à l’université de Ouagadougou.
Premier roman : Le Mal de peau (Le Serpent à plumes, 2001)
2000 : Murekatete (roman, Le Figuier).
Nyamirambo (recueil de poésie, Le Figuier)
2002-2008 : Ministre de la promotion des droits humains
2006 : Droit de cité : être une femme au Burkina Faso (essai, éd. du Remue-ménage)
2012 : Ambassadrice pour les pays baltes et nordiques
2018 : Si loin de ma vie (Le Serpent à plumes)
Source : Francophonies du monde | n° 2 | novembre-décembre 2019