Mauritanie, terre des arts
« La Mauritanie est une perle discrète », chantait le poète Ousmane Moussa Diagana. Le pays est aussi celui des arts, entre modernité et traditions. Trois artistes aux itinéraires marquants témoignent de cette effervescence créatrice.
MAURITANIE, TERRE DES ARTS Par Bios Diallo
MOKHIS, PEINTRE DU TERROIR
De son vrai nom Mohamed Ould Sidi Mohamed, Mokhis pratique la peinture depuis une rencontre fortuite, dans les années 1970 à Nouakchott, avec un Canadien, professeur d’anglais à l’École nationale d’administration et artiste à ses heures perdues. Avec Denis Reed, il trouve sa voie, une branche sur laquelle s’arc-bouter. Pour parfaire sa passion, il s’inscrit au CREA, centre culturel créé par Mariem Daddah, épouse du président Moktar Ould Daddah. À l’inauguration de la première Foire de Nouakchott, en 1975, Mokhis propose des tableaux qui guideront ses champs futurs. Certains mettent en relief l’esclavage, le train minéralier de Zouérate et des quotidiens de fraternités. Le couple présidentiel salue ses prouesses et promet son soutien. Promesse caduque, avec l’entrée en guerre la même année de la Mauritanie avec le Sahara. L’art, comme d’autres secteurs, hiberne. Situation qui dure jusqu’en 1998, quand l’artiste Nicole Vignote, peintre et sculptrice française installée à Nouakchott, réussit avec l’appui de la coopération française la création de l’Association mauritanienne des artistes peintres. Puis, en 2000, avec l’Union des artistes peintres de Mauritanie, les artistes exposent un peu partout et vont à des festivals : Sénégal, Algérie, Maroc, Mali, Italie, Espagne…
Si ses tableaux trônent en Italie, en France et ailleurs, Mokhis n’a jamais mis les pieds en Europe. Et n’aspire pas à quitter son pays : « Je trouve là mon inspiration et je suis heureux d’y vivre ! »
En 2008, avec son exposition « Regards sur le passé », Mokhis célèbre des figures nationales : l’émir Abderrahmane Ould Souéid Ahmed, le marabout Baba Ould Cheikh Sidiya, le premier président de la nation indépendante Moktar Ould Daddah… Dix-huit tableaux d’histoire sur ce pays niché entre l’Afrique et le monde arabe. En août 2019, avec ses collègues Amy Sow et Bouna Ould Deuf, il réalise de grandes toiles pour le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), témoignant des violences basées sur le genre, de la mortalité infantile et de l’excision. Par son génie créatif, son pinceau investit de nombreux lieux : ministère de la Culture, galeries, musées, panneaux publicitaires, milieux scolaires (crèches, jardins d’enfants…). Jusque chez des collectionneurs friands d’images fortes ! Le blogueur Vlane dit être tombé sous le charme d’un tableau, mais un amateur plus rapide que lui l’a obtenu : « C’était l’ex-patron du FMI, Philippe Callier. Le tableau prémonitoire représentait l’immigration clandestine » ! Si ses tableaux trônent en Italie, en France et ailleurs, Mokhis n’a jamais mis les pieds en Europe. Et n’aspire pas à quitter son pays : « Je trouve là mon inspiration et je suis heureux d’y vivre ! », confie celui qu’on appelle « Maître ». Ici, il cultive la relève : « Je forme et aiguille de futurs représentants de notre patrimoine », poursuit l’un des rares artistes mauritaniens à vivre de son art.
BOUBOU KOUMÉ, DE LA TRADITION À LA CRÉATION ARTISTIQUE
Né à Sélibaby, au sud de la Mauritanie, Boubou Koumé est issu d’une famille où les femmes s’occupent de la poterie et les hommes sont tisserands. Par le passé, c’est cette corporation qui habillait le peuple et confectionnait les prestigieuses tenues pour rois, reines, le pagne de la mariée, l’étoffe du mari. Et une nuit nuptiale ne se concevait pas sans le lawdi et bortungal, cotonnades signées du maître… Boubou, alors que ses compagnons tapent dans le ballon ou maraudent, observe les gestes de son père Bocar. Les débuts sont anecdotiques : « Dans un coin, je m’exerçais à étendre les jambes, plier les genoux et retourner la tête pour répondre à une interpellation. Des gestes de mon père. Je profitais de ses départs à la mosquée, pour occuper son siège. Il fronçait les sourcils, quand je mélangeais des couleurs indues. Des fautes selon lui, mais de l’art selon moi », dit-il avec le sourire. L’apprenti, à cet âge, mêlait ce qu’il apprenait à l’école, les dessins, et ce sur quoi il venait s’exercer. Au kelngal, espace où se retrouve la communauté des tisserands, il confronte motifs et calligraphies. En avril 1999, arrive l’injonction de la relève : « Boubou, dans quelques jours se tiendra ici à Sélibaby une foire. Des artisans viendront du Mali, du Sénégal et d’ailleurs de la Mauritanie. C’est toi qui iras me représenter ! » Il a 23 ans. Pour chasser le stress, il écoute le dillere (musique qui revigore les tisserands). Pendant les trois jours de foire, il explique les messages inscrits sur ses étoffes. À la clôture, il reçoit félicitations et commandes : pagnes griffés, turbans, draps nuptiaux, rideaux… Boubou Koumé devient l’adresse recommandée pour faire la différence lors d’un évènement : la banderole à Dabbe au Sénégal, pour le chanteur Baaba Maal, porte sa signature ! De nombreux festivals font appel à son savoir-faire. Cependant, le métier de tisserand est menacé, à cause du textile industriel. Boubou Koumé aujourd’hui est le seul à le pratiquer à Sélibaby. En septembre 2019, il a posé ses rames à la Maison de quartier de l’association « Traversées Mauritanides » à Nouakchott. Nostalgiques et urbains sont accourus, pour repartir avec leur nom griffé sur une étoffe « Made in Sélibaby » !
BANA KOREL : LE STYLISME EST UN ART
Née en 1985, Bana Korel a un baccalauréat en lettres modernes. Mais à l’université, elle ne passe que deux années au département de géographie. L’appel est ailleurs : la scène de la mode. Petite déjà, Bana Sow de son vrai nom, découpe des tissus et en fait ses tenues. Ses amies lui demandent conseil sur les tenues à arborer. Elle a de qui tenir : mère styliste, soeur artiste peintre et père enseignant et fin conseiller. Pour suivre son rêve, elle rejoint l’association des artistes mauritaniens de son aînée Amy Sow. Elle intègre à son imaginaire l’art plastique. En 2011, elle mixe les genres et organise un défilé. Les connaisseurs saluent ses trouvailles. En 2012, elle récidive et s’appelle désormais Bana Korel (Bana « la petite calebasse », en langue peule) ! En 2014, après la Fashion Week de Saint-Louis du Sénégal, Bana va au Maroc et aux États-Unis où elle fréquente l’underground artistique. Puis, retour aux racines. En 2017, elle lance son festival « Korel Nomade » (la calebasse nomade) ! L’argument est incisif : la Mauritanie est un pays de nomades (Arabo-Berbères et Négro-Africains le sont tous !). Elle fait alors appel aux talents dont regorge le pays. On le voit lorsqu’elle se saisit du caftan ou des robes, qui se retrouvent autant au Maghreb qu’en Afrique subsaharienne. « L’habillement n’est rien d’autre qu’un reflet de la société. Et celle de la Mauritanie est une symbiose de métissages, africains et arabes », soutient Bana, qui crée également une agence de mannequinat.
« L’habillement n’est rien d’autre qu’un reflet de la société. Et celle de la Mauritanie est une symbiose de métissages, africains et arabes », soutient Bana Korel.
Pour la deuxième édition de son festival, en juin 2019, Bana Korel alignait aux côtés des modélistes mauritaniens des créateurs du Sénégal, de la Tunisie, du Mali… Les visiteurs sont émerveillés par le travail qu’elle effectue sur la teinture : un patrimoine de diversités ! Et en marge des défilés, le public a bénéficié de conférences sur la mode, le stylisme et le mannequinat.
Bios Diallo
Source : Francophonies du monde | n° 2 | novembre-décembre 2019, www.fdlm.org