Sélibaby, Un Sud littéraire
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Sélibaby, Un Sud littéraire

Pas de jeu de mots : la 3e édition d'Hiver littéraire de l’association Traversées Mauritanides a exploré plusieurs champs en une saison ! De Nouakchott à Ouadane où se tenait le Festival des Cités du Patrimoine, en passant par Sélibaby au sud de la Mauritanie, les rendez-vous ont été multiples et intenses.

L’Hiver littéraire a démarré le 1er décembre 2021 au Musée national de Nouakchott par une conférence inaugurale sur la « Diaspora ». Puis cap sur Sélibaby, dans la région du Guidimakha au sud du pays, du 3 au 6 décembre 2021. Ecrivains, poètes, universitaires et journalistes y ont communié avec un public assoiffé de connaissances et des belles lettres. La Maison des Jeunes de Sélibaby, lieu des conférences, a tous les jours refusé du monde.

Visites dans les écoles

Tous les matins, c’était la ruée vers les établissements scolaires, publics et privés. Des files d’attentes accueillaient dans une discipline soignée les écrivains venus de la Guinée (Abdoul Baldé), du Sénégal (Ibrahima Seydou Dia), et leurs homologues de la Mauritanie (Mamadou Kalidou Bâ, Cheikh Nouh et Bios Diallo par ailleurs directeur des rencontres). Ferveurs et ambiances dans les classes du primaire, des collèges et lycées recevant les hôtes. Curiosités d’élèves voulant serrer la main à un écrivain, arracher une phrase ou encore distinguer une diction. Côtés adultes, on n’était pas en reste : compliments, accolades, tapes dans les mains et sur les épaules. Et des anecdotes : « Je suis très heureux, confesse l’air timide Pr Mamadou Kalidou Bâ, lorsqu’il pose sa main dans celle de Madické Guèye directeur du Collège 2 près de l’hôpital régional. Chers amis, je vous présente celui qui fut mon professeur de français pendant des années ici à Sélibaby ! » Madické se retourne, et lance à ses élèves : «Si vous voulez que je sois fier de vous, faites comme Professeur Bâ. Devenez professeurs et écrivains ! » Clameur : « On veut, on veut ! On va devenir… », poussent-ils en chœur dans une joyeuse cohue. Mêmes scènes lorsque Bâ et Bios Diallo se retrouvent face à Kouyaté Youssouf et Yacoub Fofana, respectivement enseignant du primaire et professeur du second cycle. Les écoles de la transmission, dira-t-on !  Et partout, le message fut le même. « Des enfants de Sélibaby qui ont réussi leur cursus scolaire sur les mêmes bancs que vous, qui ont accédé à l’enseignement supérieur et qui ont fait ailleurs leurs preuves, viennent vous dire que vous aussi vous pouvez réaliser vos ambitions, vos rêves, en misant sur l’abnégation. L’école est le meilleur tremplin pour ça. Alors, étudiez et vous aurez les meilleurs fruits ».

Midis des débats

Si les matinées ont été consacrées aux visites dans les écoles, les après-midis étaient pour la Maison des Jeunes de la ville où se tenaient les conférences. La première a eu pour thème « Crise de l’école, quelles pistes pour l’excellence ». Ce thème abordé à l’entame a réuni les écrivains Mamadou Kalidou Bâ, professeur à l’université de Nouakchott, Cheikh Nouh qui enseigna l’arabe dans la région pendant de nombreuses années, Yacoub Fofana directeur du lycée de Sélibaby et Ousseinou Traoré parent d’élèves et acteur du développement. Le sujet est d’actualité, et de préoccupation. Et pour cause. L’éducation et la crise de l’école mauritanienne ont été l’objet de plusieurs journées de concertations régionales et nationales en octobre et novembre 2021. « L’école mauritanienne souffre d’une triple crise », attaque Pr Mamadou Kalidou Bâ. Il y a d’abord, selon lui, « une injustice dans l’accès aux responsabilités, des nominations sur des critères complaisants et des parachutages népotistes». Puis il évoque « l’absolu nécessité de séparer l’enseignement public de l’enseignement privé. Car ce dernier squatte le personnel enseignant du premier. D’où des taux élevés d’absentéisme dans le public ». L’autre défi, selon toujours le même Pr. Bâ, c’est la crise morale et déontologique. Il fait observer que l’enseignant des années 1960, 1970, 1980 « était imbu de ses valeurs morales et était presque l’idéal auquel se confondaient les élèves ». Enfin, martèle-t-il, il y a « l’impérieuse nécessité de penser à redorer le blason de l’enseignant par la revalorisation de ses conditions matérielles et financières ».

Cheikh Nouh voit dans la politisation du système éducatif, notamment à partir de la réforme de 1999 et la guerre des langues, l’une des causes de la crise actuelle. « Le problème de l’école, ce n’est pas un problème d’identité culturelle à travers la guerre entre l’arabe et le français, mais un problème de contenus et de stratégies », dit-il. Nouh s’est tout de même réjoui de la forte scolarisation des filles, car selon lui, « les femmes représentent plus de la moitié de la société et les mettre à l’écart serait compromettre le développement du pays ».

Ousseïnou Traoré, économiste et agent de développement, a planché, pour sa part, sur l’absence de planification face à l’explosion démographique et le déficit en termes d’infrastructures scolaires. Il dit regretter « le fait que le département de l’éducation ait raté la révolution numérique dans ses programmes ».Tout comme il a dénoncé la nonchalance du législateur et l’ingérence démesurée du politique dans l’éducation. Traoré n’a épargné non plus dans ses critiques, « la démission des parents en tant que compléments du système d’enseignement ». Enfin, il a rappelé le succès enregistré par l’expérience pilote de l’Institut des Langues Nationales qui avait démontré dans les années 1970-80 que « l’enfant qui apprend à lire, écrire et calculer dans sa langue maternelle a plus de chance de réussir, qu’un enfant qui débute sa scolarité par des langues qui lui sont étrangères ».

En prenant la parole, le professeur Yacoub Fofana, actuel directeur du Lycée de Sélibaby et qui a eu à enseigner Pr. Mamadou Kalidou Bâ et Bios Diallo, a brièvement « restitué » sa participation aux journées de concertation sur la Réforme du système éducatif. Passés ces éclaircissements, il dit que « l’une des causes de la crise de l’école mauritanienne serait, selon lui, le nombre élevé de réformes ». Il a fait observer « qu’entre 1959 et 1999, la Mauritanie a connu 5 réformes là où la France par exemple, n’a connu que 3 de 1945 à nos jours». A ses yeux, la faute est imputable à l’instabilité du cadre institutionnel, et comme Traoré, à l’ingérence de la politique dans les stratégies éducatives. Il a pointé du doigt aussi l’absence de formations continues du corps qui déteint sur une mauvaise conception de la carte scolaire. Là aussi il a dit qu’entre 1970 et 1980, le nombre de villages disposant d’écoles rien qu’au Guidimagha est passé à plus de 500 localités ; « chaque regroupement de deux ou trois familles voulant avoir sa propre école. Caprices qu’elles obtiennent souvent par le truchement du clientélisme politique ». Comme ses prédécesseurs, Fofana a insisté sur la situation précaire de l’enseignant, l’absence de vocation et l’expérience de l’Institut des Langues Nationales à réitérer.

La santé le rayon de lumière

Le monde étant affecté depuis trois ans par la pandémie de la Covid-19, les rencontres Traversées Mauritanides ne pouvaient faire l’impasse sur des actes de sensibilisations. Intellectuels, élèves et cadres de Sélibaby ont suivi avec intérêt une rencontre sur la « Santé maternelle, un défi rural à l’épreuve du Covid ». Un thème soutenu par le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA). Le sujet a été abordé par Gueitana Mint Mohamed, Directrice régionale de l’Action Sociale, de l’Enfance et de la Famille, Dr Taleb, Coordinateur du projet INAYA, Ousmane Mangane, Surveillant général au Centre hospitalier de Sélibaby et Bilel Thiam Vice-présente du Conseil Régional du Guidimagha. Avec comme modérateur Cheikh Aïdara, journaliste spécialiste en santé de la reproduction et planification familiale, les intervenants ont parlé de leurs actions quotidiennes sillonnant la région pour inviter aux respects des gestes barrières et surtout faire tomber les tabous en zones rurales. « La recrudescence de la mortalité maternelle, vient du fait que les femmes manquent d’informations de qualité, dit Mangane Ousmane. C’est pourquoi la présence sur les terrains et au niveau des structures de santé est essentielle. Face à certaines réticences, nous multiplions les moyens de communications jusque dans les réseaux sociaux via Watsapp. Nous y parlons du Covid, de l’espacement des naissances et d’autres pandémies. Nous invitons surtout les femmes à venir aux centres de santé et à l’hôpital, car c’est là qu’on se soigne efficacement ».

Beaucoup d’élèves, notamment des filles, agents de santé, personnel administratif, associations de jeunes actifs dans les questions de développement ont massivement répondu à l’appel. Ce qui suscita un débat riche et fructueux. « Je suis très contente de voir autant de femmes, surtout de filles venir. Car vous pouvez servir de relais dans les autres espaces », a soutenu Madame Gueitana Mint Mohamed. « Oui, ces présences sont réconfortantes, car chacun reçoit dans sa famille des étrangers qui, pour beaucoup se détournent par méconnaissance des espaces légaux de santé. Et les fausses informations sur le Covid les dissuadent de plus en plus. À nous de leur transmettre les bonnes et justes informations », poursuit Bilel Thiam du Conseil régional. 

Paix des frontières

Ville située aux frontières du Mali et du Sénégal, Sélibaby est à la confluence de rencontres. C’est pourquoi les organisateurs ont jugé utile de prévoir une thématique symbolique : « Villes frontières : comment construire des identités sans extrémisme », avec les écrivains venus de la Guinée (Abdoul Baldé), du Sénégal (Ibrahima Seydou Dia), leurs homologues mauritaniens et les acteurs culturels de la ville hôte. Surtout que les invités de ces pays frères ont en commun d’appartenir à la SAFRA (Semaine d’Amitié et de Fraternité), une organisation qui existe depuis le milieu des années 1980 et qui regroupe en décembre, pendant les fêtes de Noël, des jeunes de Kayes (Mali), Tambacounda (Sénégal), Bassé (Gambie), Labé (Guinée), Sélibaby (Mauritanie)… « La paix est essentielle, dit Ibrahima Thioye, ancien maire de Baydiam à la frontalière avec le Mali. Développer ce genre d’échanges, à travers la culture, constitue un viatique à encourager ». Pour les fraternités. « La Safra est un vrai symbole à maintenir, soutient de son côté Youssouf Kouyaté. Depuis que nous organisons ces semaines fraternelles, on n’a jamais eu d’incidents. Et quand des frictions semblent se dessiner entre les pays, les inspecteurs des villes jumelles endossent des toges de médiateurs». Il y a donc là une veille des sages. « On ne laisse rien pourrir nos rapports », renchérit Mohamed Ould Matala professeur d’éducation physique et ancien député ayant conduit de plusieurs délégations aux évènements. Ces confessions donnent à Ibrahima Dia de Tambacounda l’opportunité de confirmer les dires : « L’accueil dont nous avons bénéficié est le reflet de ce qui a été bâti par la Safra. On nous a tout de suite fait sentir que nous sommes chez nous. On nous demande des nouvelles d’Untel, Unetelle, comme si nous venions d’un quartier de la rue d’en face ! Tout le monde se connaît. C’est matrice de la jeunesse et de la culture safratique, comme aiment à dire les délégués de cette superbe famille sous-régionale ». Du coup, grâce à la SAFRA, on arrive en terrains connus et d’amitiés à chaque rencontre !   

Des génies en devenir

Après des jours de joutes, à travers conférences et visites d’écoles, Traversées Mauritanides a achevé son « Hiver littéraire » à Sélibaby » par ses traditionnelles compétitions de Génies en herbe. Le clou ! Plusieurs établissements, publics et privés, y ont pris part. On sentait l’effervescence monter au fil des rencontres dans les écoles. Beaucoup d’élèves n’ont jamais eu à participer à de telles épreuves. Les curiosités se lisaient dans les regards hagards. Au jour J, enseignants, professeurs, parents et amoureux des lettres du Guidimagha étaient là, prêts à suivre les joutes scolaires de ce dimanche 5 décembre 2021. « Je suis impatient de voir ce que cela va donner avec mes élèves », avoue l’air plaisantin le professeur Sy Alassane à quelques heures du lancement. Habitué des épreuves, et cheville ouvrière de cette organisation, Tall Mamadou, président du Club Planète Jeunes de Tékane qui opère pour Traversées Mauritanides gère le stress avec sérénité. « Ce n’est pas si sorcier que ça, lance-t-il en réajustant une affiche. Il suffit de rester concentré. Même si on écoute les applaudissements des et les mots que d’aucuns vous lancent, il faudra rester calme, pour éviter de vous faire déstabiliser ».

Dès 15h la salle de la Maison des jeunes est prise d’assaut. Les élèves, lycéens, collégiens et parents font les coudes. À 16h, plus de places. « Désolé, nous n’avons plus de sièges, dit Abdi Sylla cheville ouvrière de l’organisation de cet Hiver local. Toutes les places sont occupées et nous devons respecter les mesures de distanciation. Même si les gens portent des masques [fournis par l’OMS], à un moment la salle va chauffer », poursuit-il à l’adresse d’élèves qui tentait de faire le forcing. Mais au bout de quelques instants de tensions, du fait des esprits qui s’échauffaient, l’ambiance bon enfant reprit le dessus. Les installations se firent sous de judicieux conseils. Après que le jury ait pris ses quartiers, on enclencha les joutes, les rivalités. Dans les épreuves « Epelle-moi » et de « Culture générale », casquettes vissées sur les têtes, arborant des t-shirts de l’évènement et les yeux pétillants de joie, garçons et filles donnent le meilleur d’eux-mêmes au milieu des applaudissements nourris les supporters.

Entre les passages de plateaux, le public savoure sketchs, musique et sonorités venues de la Guinée Conakry avec des poèmes déclamés en pulaar par Abdoul Baldé. D’autres vibrations, et toujours en pulaar seront servies par Ibrahima Dia du Sénégal. Tout comme, avec beaucoup d’éloquences, Cheikh Nouh déclamera plusieurs poèmes en arabe. Le public exquis fredonne en chœur avec ses auteurs.

À l’arrivée, de nombreux prix ont été distribués aux lauréats : des livres en arabe et en français (parmi lesquels ceux des écrivains invités), des dictionnaires (français-arabe-anglais), des fournitures scolaires, des tee-shirts et des casquettes.

Cette première d’un concours de « Génies en herbes » dans la région et à Sélibaby a été très saluée : « Nous sommes très honorés et heureux de voir une telle activité se tenir avec les jeunes, lance un parent d’élèves les yeux pétillant de bonheur. J’ai vu mes enfants jubiler. C’est sûr que ces instants leur resteront dans la mémoire et les inciteront à la lecture. J’ai vu un enfant dire à sa mère je veux prendre une photo avec ce Monsieur et lire son livre ! » Ama Bâ, professeur de français et qui dit taquiner l’écriture poursuit : « Ce que vous venez de faire là est grandiose ! Nous avons fait toutes nos études sans avoir jamais rencontré, échangé, avec un écrivain en vrai. Et là… nos élèves, quelle chance ! Désormais, ils seront plus attentifs à ce que nous leur dirons à propos des textes et des auteurs ».

C’est sur ces propos réconfortants que la 1ère édition des Traversées Mauritanides au Guidimakha a tiré ses rideaux. Les organisateurs ont tenu à remercier les partenaires qui les ont accompagnés dans cette aventure de leur Hiver littéraire, en l’occurrence l’Union Européenne, la CAON, l’UNFPA, les ministères de l’Education Nationale et de la Réforme, de l’Enseignement supérieur, de la Culture, de l’OMS et les autorités locales. Face à la forte demande de l’élite du Guidimakha et de la famille scolaire, Bios Diallo, Directeur du Festival, a répondu : « Nous avons entendu vos souhaits. Nous serons heureux de revenir en 2022» ! 

Cheikh Aïdara, Envoyé spécial à Sélibaby