Veronique Tadjo, Sahélienne de cœur
Traversées Maurtanides
Interview
Née à Paris, d´un père ivoirien et d´une mère française, Véronique Tadjo est une auteure centrée sur les identités. Après avoir enseigné l´anglais au Lycée Moderne de Korhogo dans le nord de la Côte d´Ivoire, assuré un poste d´assistante au département d´anglais de l´Université Nationale, elle sillonne le monde. Résidant et travaillant dans plusieurs pays d’Afrique et d’Europe, elle anime des ateliers d´écriture et d´illustrations au Mali, au Bénin, au Tchad, en Haïti, à l´île Maurice, au Rwanda... Partout elle porte la terre latérite de la Côte d’Ivoire et sa langue maternelle, le français. De quoi nourrir ses racines indissociables. Il ressort de tout ça des textes forts.
Poétesse, romancière et peintre, Véronique Tadjo cumule les genres. Les titres de ses écrits suffisent à eux-mêmes : Reine Pokou (sur l’histoire nationale de la Côte d’Ivoire), L´ombre d´Imana (sur l’une des plus grandes tragédies africaines, le génocide des Tutsi au Rwanda), Mamy Wata et le Monstre, pour demeurer proche de la naïveté des enfants et faire la morale aux adultes. Et pour échapper à tous les enfermements elle se tient A Vol d´Oiseau. Grand Prix d´Afrique Noire, en 2005, lauréate du Grand Prix Kailcédra des Lycées et Collèges en 2014 et en 2016 du Grand Prix national Bernard Dadié, pour l’ensemble de son œuvre, ses livres sont traduits dans plusieurs langues. La Revue Présence Africaine vient de lui consacrer un passionnant ouvrage : « Véronique Tadjo. Ecrire, traduire, peindre » Les articles sont issus d’un colloque qui lui était consacré à Johannesburg où elle a enseigné pendant sept ans à l’université du Witwatersrand. C’est là un riche parcours panoramique, pour découvrir la complexité de cette Sahélienne du monde.
Traversées Mauritanides : La Revue Présence Africaine vient de vous consacrer, à travers ses Cahiers, un N° Spécial. Qu'est-ce que cela vous fait de voir autant d'universitaires plancher sur vos écrits ?
Véronique Tadjo : Une fierté ! Et aussi une grande source d’encouragement car ces articles sont issus d’un colloque qui a eu lieu à l’université de Johannesburg en 2013. Les différents articles réunis dans ce livre sont des analyses très fouillées qui m’apportent beaucoup dans leur contenu. Cela me permet de faire le point et de mieux comprendre la trajectoire que j’ai prise dans mon écriture. Sarah Davies Cordova et Désiré Kabwe-Segatti, les co-éditeurs, ont fait un travail formidable. Et le fait que l’ouvrage soit publié par Présence Africain, une maison d’édition historique pour la littérature africaine telle que nous la connaissons aujourd’hui, apporte une profondeur supplémentaire au contenu.
Traversées Mauritanides : On n'y parle pas que de fiction, il y aussi la peinture, de l'image…
Véronique Tadjo : Oui, en effet, je suis écrivaine et artiste, car je fais aussi de la peinture et de l’illustration. L’art, c’est le besoin que j’ai de m’exprimer d’une autre manière. La toile est aussi une page blanche et les coups de peinture des signes à défricher. Je dirai que la peinture me purifie le cerveau, et m’aide à me plonger dans un univers entre-deux où le réalisme magique, un terme emprunté à la littérature, prend toute sa dimension.
Traversées Mauritanides : Le livre, vous l’avez dit, est issu d’un colloque à Johannesburg. En avril 2016 vous avez pris part à la 4e édition des rencontres littéraires de Niamey. Etait-ce votre première visite au Niger ?
Véronique Tadjo : Non, c’était mon troisième séjour dans ce pays. Etudiante, dans les années 1980, j’avais fait la traversée du désert en y passant. Oui, c’était encore possible à l’époque ! Après avoir quitté le territoire algérien, je suis passée par Arlit. Puis j’ai continué mon chemin en direction de la Côte d’Ivoire. La deuxième fois, c’était en 2010 pour animer un atelier d’écriture et d’illustration de livres pour la jeunesse.
Traversées Mauritanides : L’époque des mouvements libres, que l’on peut regretter, comme vous dites ! En avril, vous avez été dans les écoles, et assisté à des conférences. Conseillerez-vous d'autres évènements de ce genre ailleurs ?
Véronique Tadjo : Je trouve, en effet, que c’est une très bonne chose d’aller dans les écoles. Cela permet aux élèves de se rendre compte que la littérature est une matière vivante au-delà des classiques qu’ils étudient dans leurs programmes scolaires. En plus, ils posent beaucoup de questions et on sent bien qu’il y a un véritable intérêt pour la littérature africaine et les thèmes qu’elle soulève. Et dire que ceux-ci sont très proches de leur vécu. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, quand on met de bons livres entre les mains des jeunes, on découvre leur enthousiasme pour la lecture. Quant aux conférences, ce sont des activités complémentaires destinées à un plus large public. Là aussi, il y a un engouement certain.
Traversées Mauritanides : Que retiendrez-vous du Niger ?
Véronique Tadjo : C’est toujours un plaisir de revenir au Niger. Le paysage et la terre rouge me rappellent un peu le Grand nord de la Côte d’Ivoire et tout particulièrement Korhogo où j’ai passé trois ans à enseigner l’anglais dans un lycée. En fait, je suis Sahélienne de cœur ! J’adore les vastes étendues, où je ne suis jamais dépaysée grâce à nos légendaires hospitalités. L’accueil qui nous a été réservé à Niamey a été formidable. Et nous avons fait de belles rencontres, appris un peu plus sur la littérature nigérienne. La conférence de Jean Dominique Pénel sur Boubou Hama a été très intéressante d’autant plus qu’il était entouré de spécialistes. J’ai eu beaucoup de plaisir à écouter Adamou Idé et Edouard Lompo. J’ai été ravie d’entendre la nouvelle « Fifi » tirée de En attendant minuit d’Adelle Barry qui a été lue à la cérémonie de clôture des rencontres. Tout comme j’ai apprécié la présence du conteur, Sani Bouda. Ma connaissance du Niger s’est donc énormément enrichie !
Traversées Mauritanides : La thématique, les littératures du sable, a-t-elle ouvert d'autres
horizons pour vous ?
Véronique Tadjo : Absolument ! C’était une véritable thématique. Il y a des questions propres aux pays du sable. Des cultures, une manière d’appréhender la vie qui peut nous apprendre beaucoup. C’est un peu comme en Mauritanie, n’est-ce pas ? J’ai été touchée par ton recueil de poèmes, Les pleurs de l’Arc-en-ciel, texte entre blessures et reconstruction. Par ailleurs, le fait d’avoir eu l’Algérie comme pays invité, a ouvert mon champ d’investigation. Cela m’a beaucoup plu d’écouter les expériences de Hajar Bali et Samia Zennadi des Editions Apic qui représentaient leur pays. Mais il y avait aussi quelqu’un comme Ponce Zannou, l’illustrateur et peintre du Bénin. L’exposition de ses tableaux au Centre culturel franco-nigérien avait la particularité de faire appel au sable. Ses œuvres étaient donc tout à fait intégrées au thème.
Traversées Mauritanides : Vous avez séjourné pendant plusieurs années en Afrique du Sud, et vous êtes aujourd'hui établie à Londres. Ces pays ont-ils fait varier votre écriture ?
Véronique Tadjo : Bien sûr. J’ai passé quatorze ans à Johannesburg et cela m’a beaucoup marquée. On retrouvera les traces de cette expérience dans mon prochain ouvrage. C’est la raison pour laquelle j’aime tant voyager. Cela m’aide à relativiser les choses et à observer comment cela se passe ailleurs, comment les autres règlent des problèmes qui nous préoccupent aussi. L’Afrique du Sud est un grand pays plein de potentiel. Mais les questions de la réconciliation, après le traumatisme de l’Apartheid, sont encore d’actualité. Tout comme celle de la justice.
L’Angleterre, c’est différent. Pour moi Londres est une ville « d’écriture ». C’est une longue tradition et tout ce qui touche au livre fait partie de la culture ambiante. L’édition y est une véritable industrie. C’est fascinant. Et cela me donne souvent un pincement au cœur quand je me rends compte de tout le chemin à parcourir en Afrique dans ce domaine. Chez nous, il n’y a pas assez d’éditeurs qui s’intéressent véritablement à la littérature générale. Ce qui les attire, c’est le scolaire pour l’argent ; le nerf de la guerre ! Du coup, la littérature africaine est loin d’avoir atteint son potentiel.
Traversées Mauritanides : Quelle place occupe votre pays, la Côte d’Ivoire, dans votre écriture ?
Véronique Tadjo : Je porte la Côte d’Ivoire en moi, partout où je vais. Tout le temps. La Côte d’Ivoire c’est mon point de référence, et ma source d’inspiration première. Ayant passé toute mon enfance et mon adolescence à Abidjan, je puise dans ce matériau fertile pour écrire.
Traversées Mauritanides : Quel regard portez-vous sur les littératures d'Afrique aujourd'hui ?
Véronique Tadjo : Je pense qu’elles ont énormément évolué et ont même atteint une dimension internationale. Il faut juste regretter la scission entre les littératures africaines publiées en Occident et celles issues de la production locale. Il y a peu de passerelles, pas assez d’éditeurs africains prêts à jouer le jeu. Si bien que de nombreux jeunes auteurs ont encore du mal à faire entendre leurs voix.
La littérature ne doit pas
rivaliser avec le journalisme
Traversées Mauritanides : Après l'expérience d'écriture sur le génocide rwandais, aujourd'hui la violence religieuse, je veux nommer les attentats à Paris, Bamako, en Côte-d'Ivoire, filles enlevées par Boko Haral au Nigeria et ailleurs… Cela vous interpelle-t-il ? Peut-être un livre, non ?
Véronique Tadjo : Il faut faire attention à l’actualité trop brûlante quand on écrit. La littérature ne doit pas rivaliser avec le journalisme. Elle doit préserver sa nature, qui est celle d’une réflexion profonde et durable dans le temps. Ecrire demande une certaine distance. Il y a des auteurs qui arrivent à écrire « à chaud » ou comme on dit aussi « dans l’urgence ». Ce n’est pas mon cas. J’ai besoin de prendre le temps, de bien comprendre les enjeux avant de me lancer. Mais il est indéniable que la violence qui s’abat sur nous me préoccupe énormément. Elle a changé notre manière de vivre, elle ronge nos libertés et appauvrit notre vie. Je parlais plus haut de ma traversée du désert, de l’Algérie à la Côte d’Ivoire en passant le Niger. Qu’une étudiante, ou toute personne lambda pense à remonter ces terres en randonnées aujourd’hui, relèverait de la folie presque. Alors que dans ces traversées on s’assouvissait non seulement nos libertés du grand air, mais on faisait la rencontre de charmants peuples, avec leurs cultures et humanismes. Il est indéniable donc que ces violences nous blessent dans tous les sens. Pas de doute, cela ne pourra que se traduire dans mon écriture, un jour ou l’autre. Mais une fois de plus, je prends mon temps.
Traversées Mauritanides : Quelle est votre activité aujourd'hui ?
Véronique Tadjo : Depuis que j’ai quitté Johannesburg, et l’université du Witwatersrand où j’ai dirigé le département de français pendant sept ans, je suis revenue à l’écriture à temps plein. Je reprends également l’illustration et la peinture. Je voyage beaucoup, puisque je partage mon temps entre Londres et Abidjan. J’aime faire des enseignements ponctuels ou des séminaires de quelques mois dans des universités. Par ailleurs, je continue aussi à animer des ateliers d’écriture.
Traversées Mauritanides : Sur quoi portent vos derniers écrits ?
Véronique Tadjo : Je termine un roman qui ira de la Côte d’Ivoire à l’Afrique du Sud dans le contexte de la crise postélectorale de 2010/2011. Un recueil de poèmes traitera de cette même crise, mais sous un angle différent. Quant à mon livre pour adolescent, il parlera de Graça Machel, une Mozambicaine au destin exceptionnel. Graça Machel est probablement la seule femme, au monde, qui ait épousé deux présidents. En effet, elle a été mariée à son compatriote et compagnon de lutte, Samora Machel, puis au Sud-Africain Nelson Mandela. Pour le reste, attendez la publication !
Propos recueillis par Bios Diallo
Ouvrage de référence
Ecrire, traduire, peindre Véronique Tadjo. Writing, Translating, Painting. Sarah Davies Cordova & Désiré Kabwe-Segatti, co-éditeurs. Présence Africaine, 2016
Publications
- Latérite (poèmes), Monde Noir Poche, Hatier, Paris, 1984. Prix littéraire 1983 de l´Agence de Coopération Culturelle et technique
- Le Royaume Aveugle, Encres Noires, L´Harmattan, Paris 1991
- A Vol d´Oiseau, Encres Noires, L´Harmattan, Paris, 1992
- Champs de Bataille et d´Amour, Présence Africaine / les Nouvelles Editions Ivoiriennes, Paris/Abidjan, 1999.
- A mi-chemin (poèmes), l´Harmattan, Paris, 2000.
- L´ombre d´Imana – voyages jusqu´au bout du Rwanda, Actes Sud, Paris, 2000. Prix Kaïlcédart, 2014.
- Reine Pokou – concerto pour un sacrifice, Actes Sud, Paris, 2004, Grand Prix d´Afrique Noire pour 2005.
- Loin de mon père, Actes Sud, Paris, 2010.
Littérature pour la jeunesse
- La chanson de la Vie (recueil de contes et de nouvelles), Monde Noir Poche Jeunesse, Hatier, Paris 1989 – épuisé, réédité par les NEI en 2007.
- Mamy Wata et le Monstre (livre illustré), NEI, Abidjan, 1993. Prix UNICEF 1993 à la Biennale des Arts et Lettres de Dakar. “Mention d´honneur” en 1994 pour “Noma Award for publishing in Africa”.
- Le Seigneur de la Danse, NEI, Abidjan, 1993.
- Le grain de Maïs Magique (livre illustré), NEI, Abidjan, 1995.
- Grand-mère Nanan (livre illustré), NEI, Abidjan, 1996.
- Le bel oiseau et la pluie, NEI, Abidjan, 1998.
- Masque, raconte-moi, (livre illustré) EDICEF-NEI, Paris-Abidjan, 2002.
- Si j´étais roi, si j´étais reine (livre illustré), NEI, Abidjan 2004.
- Ayanda, la petite fille qui ne voulait pas grandir, Actes Sud Junior, Paris, 2007.
- Mandela, non à l´apartheid ! (fiction historique) Actes Sud Junior, Paris, 2010.
- Les enfants qui plantaient des arbres (album), Oskar, Paris, 2013.
- Léopold Sédar Senghor, le poète des paroles qui durent (fiction historique), A dos d’âne, Paris, 2014.