Ouadane, Au-delà des mémoires
Après un lancement le 1er décembre à Nouakchott de la 3e édition de son Hiver Littéraire, et des escapades à Sélibaby dans le sud du pays, l’équipe de Traversées Mauritanides est allée explorer les mondes du désert à Ouadane, dans l’Adrar, où se tenait le Festival des Cités du Patrimoine du 10 au 14 décembre 2021.
À Ouadane, les Traversées Mauritanides arrachent à des touristes leurs premiers sourires. Venus de loin, ces derniers ne s’attendaient sans doute pas à être conviés à des joutes en pleines méharées. Et pourtant. Tout frais débarqués d’Europe, les curieux se ruent sur des affiches et découvrent un programme alléchant le samedi 11 décembre 2021 à l’Antenne de l’Alliance Française de la ville : « Au-delà des frontières…nos mémoires ». Une table ronde. Français, Anglais, Allemands et Mauritaniens frétillent d’impatience à écouter les intervenants qui, leur a-t-on dit, sont des écrivains. Et pas seulement. En effet, celle-ci regroupait les écrivains MBareck Ould Beyrouk (Mauritanie), Paul Dakeyo (Cameroun), Mamadou Hadiya Kane (Directeur du Musée National) et Abderrahmane Sissako (cinéaste et président du Festival des Cités du Patrimoine). Il y avait là de quoi redonner le sourire, malgré une année toujours sous l’inquiétude de la Covid-19. Installés, les randonneurs enclenchèrent les échanges, comme s’ils retrouvaient des amis perdus de longues dates.
La magie de la culture en plein désert
On sent le partage avec ce beau monde venu là grâce à une synergie opérée entre divers ministères mauritaniens (Culture, artisanat et tourisme) et l’opérateur aérien Point-Afrique. Pour des dialogues de cultures. « C’est beau de voir de telles diversités autour du livre », témoigne Turkiya Daddah que tout le monde appelle affectueusement « Maman ». Elle enchaîne : « De telles choses nourrissent non seulement les esprits, mais rapprochent aussi les personnes et permettent de déconstruire des préjugés souvent à la vie dure ». «Ouadane est elle-même une ville chargée de mémoires », renchérit Kane Hadiya. « Ici ont vécu des peuples noirs, arabes et berbères. Il suffit de voir ses vestiges, écouter quelques dialectes qui y subsistent encore, pour être édifié sur le rôle que cette cité a eu », ajoute-t-il.
Les avis sur la mémoire et ses ramifications est au cœur des débats. « Moi, tous mes films ont été bâtis sur un refus des mémoires figées, dit Abderrahmane Sissako. Je suis moi-même la confluence de brassages », poursuit celui qui a été désigné Ambassadeur itinérant de la culture mauritanienne par le Ministère des Affaires Étrangères lors d’un déjeuner avec le corps diplomatique. « Mon écriture respire le désert, soutient Beyrouk. Et dans le désert les frontières n’existent pas. Seulement des mémoires qui se croisent, et rien d’autre ». « L’humanité est faite de rencontres et de conflits, modère Paul Dakeyo. Mais ce qui fait le propre des hommes c’est la mémoire, les mémoires. À travers elles on reconstitue des puzzles qui permettent de rapprocher des destins qui se sont croisés à un moment ou un autre, et de donc de surmonter des différents quand on décide d’y mettre du bon sens ».
Si les panélistes ont captivé les attentions par leurs étendues connaissances, le public a eu aussi droit à de croustillantes anecdotes de guides-conteurs parsemés dans la foule, comme pour veiller sur leurs clients ! Eclats de rires et toux, à chaque fois que le guide Sid’Ahmed levait la main pour distiller un conte. Puis un tonnerre d’applaudissements à son récit sur l’origine de l’expression « tout va à gogo » sur la justesse du temps et sa gestion. « En plus il a parfaitement raison, soutient Jacqueline. Nous n’avons pas la même conception du temps. Quand il est mauvaise orgue chez les uns, il est maturité et sagesse chez d’autres » !
Il y avait là, en plus des touristes, les membres de l’Alliance, Mohamed Taleb, Zeïda Mint Bilal, l’ancienne coordinatrice Leïla Al Ardah, mais aussi Bénédicte Brusset de l’Agence Française de Développement, Madame Jacqueline Lucet… En plus d’avoir efficacement contribué à l’organisation, ces volontaires ont monté une exposition agrémentée de ventes d’ouvrages mauritaniens. Une opportunité pour les auteurs présents de faire des dédicaces. « Nous sommes contents d’assister à de si brillants échanges et de repartir avec des livres dédicacés en plein désert où nous n’étions venus que pour flâner », s’exclame Laura. « Cela fait du bien de rencontrer des peuples et de repartir avec une partie positive d’eux, de leur culture grâce à des mains-témoins, celles d’écrivains », renchérit Fred. Ainsi donc, sur ces mots réconfortants, l’équipe de Traversées Mauritanides et les invités se quittent pour d’autres horizons. Les uns poursuivront leurs chemins vers des paysages sablonneux de l’Adrar et d’autres remettront le cap sur Nouakchott, en attendant d’autres rendez-vous. Littéraires, espèrent-ils !
Cheikh Aïdara, Envoyé spécial à Ouadane