Foot, les Mauritaniennes sur le terrain
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Foot, les Mauritaniennes sur le terrain

À NOUAKCHOTT

L’ÉMANCIPATION DES FEMMES PASSE AUSSI PAR LE FOOT  

Dans le sillage de la qualification historique des Mourabitounes pour les huitièmes de finale de la dernière CAN, la sélection féminine affiche des résultats encourageants. Soutenues par une fédération volontariste, les Mauritaniennes ne veulent plus se cacher pour taper dans le ballon.

Par Bios Diallo à Nouakchott

Il est 16 heures, ce jour de mai, sur la pelouse du stade Cheikha Ould Boïdiya de Nouakchott, la capitale de la Mauritanie. Étirements. Sans complexes, des jeunes filles de 17 à 22 ans, enchaînent les pompes. Le short au-dessus des genoux, au milieu d’admirateurs et de conseillers qui font circuler des bouteilles d’eau sous 38°C, les joueuses de la sélection mauritanienne de football consentent aux efforts. « Non, non, pas comme ça », s’époumone dans de grands gestes Samba Gaye, l’entraîneur adjoint. « On ne force pas en tombant, poursuit-il en s’adressant à Halima Diallo. Vous risquez de vous faire très mal, voire de vous blesser. Gardez vos appuis en levant les yeux ».

« Tant qu’elle travaille bien à l’école… »

Les internationales mauritaniennes s’inspirent à l’entrainement de leurs homologues masculins, et pour cause : ces derniers ont marqué les esprits en début d’année en atteignant les huitièmes de finale de la dernière Coupe d’Afrique des Nations (CAN, 2024). Un parcours historique dont bénéficient aujourd’hui les filles, qui manquaient jusqu’alors de soutiens. « Je suis contente de voir qu’aujourd’hui, on lâche du lest en regardant des filles chausser les crampons, sourit Selehma Dah, 33 ans, ancienne internationale aujourd’hui directrice adjointe à la Fédération de football de la Mauritanie (FFRIM). Nous nous cachions, de nos familles et de nos voisins, pour aller sur les terrains sablonneux taper dans le ballon ».

La sélection féminine n’a été constituée qu’en 2019. Autant dire depuis pas longtemps, la société étant réfractaire à laisser les femmes se livrer aux mêmes activités que les hommes.  « Au début, je jouais timidement avec les amis de mon frère à Dar El Baïda, en banlieue sud [de Nouakchott], raconte dit Halima Diallo. Pour ma mère, une fois finies mes tâches ménagères, je pouvais y aller. Mais les critiques venaient des autres ! » Elle baisse la tête et jette un regard à son père, Diallo Souleymane, adossé à un pieu non loin de là. « Je n’ai pas de problème à ce qu’elle fasse du football, tant qu’elle travaille bien à l’école, témoigne ce dernier. Au même titre que ses fournitures scolaires, je lui offre ses équipements sportifs. Après, on verra si le choix judicieux est le sport ou de longues études », poursuit-il en accompagnant des yeux le ballon que repousse la gardienne Marietou Sagna.

Grâce au programme de la FIFA TDS (Talent Développement Scheme), une initiative visant à optimiser l’éclosion des talents dans le football, la Mauritanie essaye de tirer son épingle du jeu. Le Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports a mis des stades à disposition en partenariat avec des municipalités. C’est le cas à Sebkha, 5e arrondissement de capitale, où l’ancien maire Aboubacar Aka Soumaré a fait monter l’équipe locale à la deuxième place du championnat des U20 (les moins de 20 ans). Et plusieurs régions du pays disposent de leurs ligues féminines : Zouérate, Rosso, Kiffa, Sélibaby, Nouadhibou… Des compétitions y ont lieu.

Un coach venu du FC Barcelone 

En 2023, la FFRIM a organisé un championnat entre les clubs de première division féminine. « Ainsi, nous avons quitté l’informel pour des standards calibrés, fait observer Oumou Kane, directrice du foot féminin à la FFRIM. Nous n’avançons plus masquées, mais avec des ambitions. Et cela grâce aux différentes éditions du festival Live Your Goals, homologué par la FIFA. L’engouement est désormais là. »

Pour franchir de nouveaux paliers, la FFRIM a fait appel en novembre 2023 à un entraîneur étranger : Jordi Rovira Arimany. Ancien directeur technique des écoles de football féminin du FC Barcelone, l’Espagnol est doté de belles expériences à l’Académie Aspire Football Dreams au Sénégal et au Canada. Lors de sa première sur le ban, le 9 mars dernier en Arabie Saoudite, son équipe a fait bonne figure en tenant en échec l’équipe hôte (1-1).  « En regardant ce que font les garçons, les filles ont envie d’en faire autant. : mouiller honorablement le maillot national, soutient Samba Gaye. Depuis quelques mois, on sent montrer les ambitions. Le président de la République, Mohamed Ould Ghazouani est devenu le douzième élément en les recevant à un ftour traditionnel au Palais pendant le Ramadan. Une première, en haut lieu ! »

Un modèle exemplaire

Plusieurs joueuses mauritaniennes évoluent à l’étranger, notamment au Sénégal et au Maroc. À l’image de Ramata Gangué l’une des joueuses les plus efficaces du championnat marocain avec plus de huit buts et des passes décisives sous le maillot du FC Laâyoune. De même pour Coumba Gueye à l’Association union sportive féminine Assa-Zag et Fatou Diop au FC FEZ de Rabat. Tacko Diabira, de son côté, joue à l’AS Sacré-Cœur de Dakar, au Sénégal, où elle vient de terminer meilleure buteuse de la saison, tandis que la gardienne Ramatoulaye Diallo vient d’être sacrée championne de Gambie avec les Reads Scorpions. Enfin, Halima Diallo, de l’Asac Concorde, un club de Nouakchott, a inscrit en mars dernier le but qui a permis d’arracher un match nul en Arabie Saoudite contre les U20 locales.

Les lignes commencent à bouger à Nouakchott et un peu partout dans le pays, au point que la CAF et la FIFA citent le modèle mauritanien en exemple. De quoi donner des ailes.  

Porter au plus haut niveau le football mauritanien, voilà l’ambition affichée par la Fédération. Son président, Ahmed Yahya, est décomplexé et bosseur. Grâce à lui, la FFRIM dispose d’une chaîne de télévision, qui diffuse des matchs en direct, d’une académie disposant d’équipements sportifs modernes, d’une infirmerie haut de gamme, qui a accueilli en avril une conférencière venue de France pour parler de santé mentale et de bien-être chez les filles. Sur son site mitoyen du stade Cheikhna Ould Boïdiya, la fédé dispense également des stages de foot, des cours de langues (arabe, français, anglais) et de rattrapages à ses sociétaires. « Cela permet aux footballeuses de ne pas trop être pénalisées en raison de leurs absences, soutient Amadou Fadé, proche du président. Cela renforce, par ailleurs, la confiance des parents. Si on continue à travailler avec ces synergies, dans deux ans, nous aurons une équipe très compétitive ». À Nouakchott aussi, désormais, le foot féminin symbolise un nouvel horizon d’ouverture et d’émancipation !

Bios Diallo à Nouakchott

Source : Le Courrier de L'Atlas N 192 Juillet-Août 2024

https://www.lecourrierdelatlas.com/